Voici un livre bien précieux pour tous ceux qui se prédisposent à endosser une noble carrière dans l’Education nationale ou qui s’interrogent sur les raisons du fort taux de suicide au sein du corps enseignant. Ce texte de Sôseki, écrit en 1906, et qui raconte le noviciat d’un jeune professeur de collège, est à la fois drôle, léger, satirique et malicieusement contemporain. On peine à penser que l’auteur ait tiré ce témoignage de sa propre imagination. Sôseki fut professeur d’anglais à l’Université de Tokyo à partir de 1903 avant de se consacrer entièrement à sa carrière d’écrivain, après le succès de son premier roman Je suis un chat (1905). Une chaire, en sorte, en forme de piédestal, d’observatoire privilégié pour raconter l’état de l’éducation au pays du Soleil levant.
Tel le Zadig de Voltaire, le Botchan de Sôseki est un candide jeune homme de 24 ans, mais dont la fierté et le respect des valeurs ne sont pas sans rapport avec le sang de ses ancêtres, « vassaux directs du Shôgun ». Mais attention, ici, pas de référence à la tradition.
Les premières lignes du texte ont l’avantage de l’honnêteté et place immédiatement le ton du récit. « Pour tout héritage, j’ai reçu une nature impulsive et risque-tout qui me vaut depuis ma petite enfance de perpétuelles mésaventures. » Botchan (petit maître en japonais) est un garçon tumultueux et rebelle. Il perd coup sur coup sa mère et son père, hérite d’un petit pécule et force le destin. Il s’inscrit par hasard à une école de physique à Tokyo (« Lorsque j’y resonge à présent, cet acte m’apparaît comme une bévue due à mon irréflexion congénitale. ») Trois années plus tard, diplôme en poche, il reçoit sa première affectation, en province. Les premières impressions qu’il donne à sa vieille servante, sa seule amitié au monde, ne ressemblent guère à une carte postale type Club med : « Je suis arrivé hier, l’endroit est sans intérêt. Je loge dans une chambre de quinze tatamis. » Plus loin, il affine son jugement : « Cette bourgade (est) si petite qu’une heure de promenade en épuise tous les charmes. » On lui donne du Monsieur, il est surpris mais en redemande. Il déchantera très vite avec des élèves pour qui les mécanismes de la couardise, la ruse et l’insolence sont parfaitement assimilés. Le milieu professoral (« Le directeur, c’est le Blaireau, le sous-directeur : Chemise-rouge, le professeur d’Anglais : Courge-Verte… ») est un vrai panier de crabes dans lequel Botchan s’évertue à arracher les faux-semblants.
Pour ceux qui aiment Sôseki, à coup sûr, ils trouveront là, dans l’un de ses premiers textes, l’ébauche de son style si familier, mélange raffiné d’ironie, de clarté et d’excès. Sa langue est fine, d’une finesse qui laisse percer par moments, comme des crocs acérés, ses appréhensions, ses sarcasmes. A travers ce récit léger, Sôseki reste aussi attentif à l’évolution de son pays (nous sommes en plein ère Meiji), un Japon séduit par les sirènes occidentales. Facétieux, sagace de tempérament, il exprime ses craintes : « Le monde commence soudain à m’apparaître comme un séjour dangereux… Peut-être que le monde n’est peuplé que de charlatans qui ont une seule idée en tête : se tromper mutuellement ». Une douce parabole.
Botchan
Natsumé Sôseki
traduit du japonais
par Hélène Morita
Le Serpent à plumes éditions
211 pages, 80 FF
Domaine étranger Le petit maître de Sôseki
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°6
| par
Philippe Savary
Sauterelles, hurlements et mesquinerie : pas facile la vie dans un collège. Botchan est un joli conte plein de malice du Japonais Natsumé Sôseki.
Un livre
Le petit maître de Sôseki
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°6
, décembre 1994.