L’idée contenue dans le titre était séduisante : proposer quelques portraits de « Gens de Berlin ». Huit épisodes sous forme de nouvelles, dont le principe de base n’est bien sûr pas sans rappeler celui des Gens de Dublin de Joyce : la vision fragmentée d’une ville de prédilection au travers de plusieurs groupes de personnages qui la sillonnent, y évoluent et la sondent, parfois jusqu’au tréfonds. La référence au maître irlandais s’arrête malheureusement là, quoi qu’en dise la tentante quatrième de couverture, qui qualifie pompeusement les nouvelles de Guillaume Le Blanc d’« odyssées », sans doute en souvenir d’Ulysse.
De Berlin, nous ne verrons rien, ou presque ; quelques pâles figures traînant leur mal-être et leurs pulsions de mort sans la volonté de les dépasser, un seul être décliné huit fois sans la variation promise, sans échapper aux clichés attendus : un immigré turc, un Est-Allemand obsédé par la pensée de sa fille résidant à l’Ouest, un homme incertain de sa vie amoureuse, ou un enfant élevé dans une tour HLM. Pour cette peinture du désespoir, l’écriture se complait dans le terne et le convenu. Les jeux de langage, phonétiques et sémantiques, loin d’atteindre l’habileté de ceux de Beckett, semblent n’en être qu’un médiocre pastiche : « (…)ego, egon, mais agonie toujours, au bout des doigts sans ressources, démunis, soulevons nos volutes, rabattons, grimaçons, feignons, saignons, brutes, luttes, ruts, éructe, cut, cut, solstice, atonie, miasmes, prismes, séismes, pouah, horreur décroît, forêt de Grünewald, vous les sombres, vous les ombres, lichen, pollen, agonie dans le cafouillis des branches, dans le gargouillis des feuillages ». Hormis dans la première nouvelle, assez bien menée, où l’auteur met en scène la rencontre sensuelle entre deux voisins dans une salle de cinéma, le premier livre de Guillaume Le Blanc manque singulièrement de nouveauté et d’ambition. Il est regrettable que l’auteur ait enfermé son écriture dans le ton dépressif, désormais si répandu en littérature, et qu’il ait laissé son imagination y sombrer entièrement.
Gens de Berlin
Guillaume Le Blanc
La Table ronde
158 pages, 85 FF
Domaine français Berlin n’est pas Dublin
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
| par
Ariane Singer
Un livre
Berlin n’est pas Dublin
Par
Ariane Singer
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.