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Poésie Le prisme d’Orphée

décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10 | par Jean Miniac

Dédié à Fardoulis-Lagrange, disparu récemment, le nouveau recueil de poèmes d’Hubert Haddad esquisse une douloureuse « radiographie du crépuscule ».

Faut-il ranger Crânes et jardins dans la poésie métaphysique ? Question piège pour le démon de la classification… De fait, cette « appellation contrôlée » est loin d’épuiser la richesse du dernier recueil d’Hubert Haddad. Chez lui, les choses sont plus complexes et mobiles à la fois. Il ne convoque pas le seul « mystère ». Si les grandes catégories de l’existence sont l’objet de sa quête passionnée, les traces autobiographiques, la saisie du quotidien ont aussi leur place. Et la nature est là, avec ses beautés concrètes. Bref, la perspective est totalisante : chaque poème est animé d’une tension affective qui marque la volonté d’embrasser les champs les plus divers. La lecture en tire un bénéfice immédiat : l’appréhension de l’infini n’exclut pas les séduction du sensible. On pense aux envoûtements d’un Paul Celan quand on lit : « L’unique jour en son profil éternel / le front ouvert sous la pluie / nénuphars rouges du sommeil » ; ou : « Les violettes de l’oubli embaument / sur la nuque noire des saints ».
Si inspirées qu’elles soient, ces alliances de mots ne sont pas le fruit du hasard. Elles reflètent, réfractent chaque foyer secret, ou plus exactement, la perception d’un lien caché entre des régions de l’existence que rien ne semblait devoir réunir. Hubert Haddad nous le dit, en un poème hautement révélateur : son vers agit « à la façon d’un prisme ». Les phénomènes y sont analysés, recomposés. Des significations inattendues les investissent. La vie ? La mort ? Deux visages apparemment contradictoires, mais dont l’identité se révèle au creuset fusionnel du temps : « La surrection et l’effacement s’enlacent / dans une étrange dévoration / qui tient Kronos en appétit / L’éclosion d’une fleur de montagne / et la destruction d’un crustacé benthique / sont un même reflet du prisme ». Le poète se plaît à ces relations identifiantes voire aux inversions qui lui permettent d’arracher le masque des apparences, de le retourner, pour ainsi dire, comme un gant. « La mort est à la vie ce qu’est l’éveil au rêveur » nous disait déjà l’un des aphorismes de Retour d’Icare ailé d’abîme (Thot, 1983). De cette « évidence occulte », nombre d’images tirent leur pouvoir fascinateur, comme « le charbon des Lys » ou « la neige enténébrée ». Il ne s’agit pas de leur faire rendre gorge, mais d’y mieux discerner l’ordre du mystère. Ordre mobile, en perpétuelle fluctuation : au miroir de cette poésie, « l’universelle genèse » se dédouble avec une étonnante variété de registres. G.O. Châteaureynaud l’avait justement souligné dans sa préface à L’Aveugle d’élite (Le Point d’Etre, 1975) : « Haddad, c’est de l’orgue ». Comprenons qu’il peut jouer d’un instrument différent à chaque vers : « L’harmonie est un prurit d’ange / et Mozart une façon de se gratter ». Ce caractère polytonal séduit. Il suscite une question : qui chante en ces poèmes ? Certainement pas le « moi » lyrique traditionnel (d’ailleurs très malmené par les temps qui courent…). Sujet il y a, assurément, mais sujet en extension, libéré de la stricte clôture des sentiments, à égale distance du narcissisme et de l’impersonnalité. Certains aveux bouleversants en témoignent : les marques de la subjectivité ne sont pas absentes, mais portées à de plus vastes confins : « Je sens en moi / une aile blessée qui bat / comme l’oubli d’un visage / en terre extrême ». A la polyphonie complexe qu’organise Hubert Haddad, chacun peut mêler sa voix. Les tourmentes personnelles croisent l’histoire universelle en d’énigmatiques carrefours qui semblent nous attendre : « Dans les cryptes des forêts, il y a / des livres de gel ouverts / à l’unique page ». Troublants effets de mémoire : à de tels moments, le thème d’Orphée, cher à l’auteur, se dramatise, s’inscrit dans un pacte de lecture. Nous en devenons les acteurs étonnés : contraints, comme le Poète, de revenir sur la scène d’un secret enfoui. Quand la vérité affleure au prisme des mots, ne serait-on pas fondé à se retourner pour y mieux voir ?

Crânes et jardins
Hubert Haddad

Dumerchez
120 pages, 90 FF

Le prisme d’Orphée Par Jean Miniac
Le Matricule des Anges n°10 , décembre 1994.