Si l’on en croit la quatrième de couverture (« .un document précieux pour ceux qui essayent de comprendre les événements qui se déroulent dans l’ex-Yougoslavie »), ce texte, rédigé quatre années avant l’entrée des chars serbes en Slovénie, recèlerait quelque explication des conflits métastasiques, entreprises de purification ethnique et autres barbaries à venir. Voire. Certes, l’argument du récit semble dans un premier temps confirmer cette piste de lecture. Un écrivain homonyme de l’auteur reçoit par la poste les prétendues Mémoires d’un ancien chauffeur de voitures officielles où se trouvent consignées les conversations, faits et gestes -généralement peu glorieux- de maints dignitaires du régime. Tandis que le rédacteur fantomatique de ce document compromettant -ce dont témoignent menaces téléphoniques et filatures- demeure introuvable, l’ensemble de la population croate paraît succomber à une épidémie de logorrhée. Un peu partout dans Zagreb s’accumulent des manuscrits invariablement consacrés à « …la Résistance, des événements de l’après-guerre, le Kominform…(à) éclairer les zones troubles du passé ». L’ingéniosité et la complexité du dispositif narratif entendent constituer l’équivalent littéraire du destin chaotique de la Yougoslavie moderne, mais cette tentative échoue soit par défaut dans la majeure partie du livre, émaillée d’allusions trop vagues pour le lecteur non averti, soit par excès lorsque l’auteur insère artificiellement des allégories appuyées dans le texte principal.
Et si, en définitive, ce roman attachant mais plus prometteur que véritablement abouti, ne contredit pas le point de vue des éditeurs cité plus haut, cela s’avère moins le fait de son intrigue que de telle ou telle image dans le tapis : « Le tas était beaucoup plus imposant qu’avant… il paraissait quelque peu menaçant comme si ce monceau était quelque chose de vivant. Je n’aurais pas été surpris si (en) avait émergé une sorte de monstre, disons quelque dragon dévoreur de manuscrits, ou bien quelque hydre qui les fabrique ». La Yougoslavie ne devait en effet pas tarder à devenir un ectoplasme d’encre et de papier, une fiction mortelle dont chaque mot s’échangerait bientôt contre son poids de chair martyrisée et de sang versé.
La Calligraphie
Pavao Pavlicic
traduit du serbo-croate
par Ljiljana Huibner-Fuzellier
et Raymond Fuzellier
Editions de Griot
280 pages, 115 FF
Domaine étranger Yougoslavie pour Mémoires
mars 1995 | Le Matricule des Anges n°11
| par
Eric Naulleau
Un livre
Yougoslavie pour Mémoires
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°11
, mars 1995.