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Zoom André Blanchard : allumons les contre-feux

juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12 | par Philippe Savary

André Blanchard parle d’écriture, de livres, de lui, dans un parfait anonymat. La littérature peut encore charmer. Messe basse, troisième livraison de ses Carnets, tout de ventre et de tête. Revigorant.

Messe basse : Carnets 1990-1992

Voilà une vie somme toute banale qui ne ferait pas de vieux os sur le marché de la fiction : celle d’un gars qui ne fait rien de ses journées sinon remplir ses carnets intimes, assis dans son fauteuil, le chat en bandoulière. Cet homme-là n’a rien à déclarer, ou si peu : un esprit libre et curieux, une ardente et exclusive passion pour la littérature (type journal) et l’envie d’être publié pour voir comment ça fait son bouquin dans sa bibliothèque à côté de ceux qu’il côtoie. La quarantaine, il vit à Vesoul, lutte contre de persistants sifflements d’oreille, a tâté les petits boulots après un D.E.A. de droit et huit ans de pionnicat. Dernier travail en date : gardien d’une galerie d’art contemporain. Pas folichon. Pour corser le tout -pas bégueule pour un sou-, il introduit ses Carnets tel quel : « Ah, enchanté, moi c’est Blanchard, avec un D comme déchéance. » Le fou ! On entend déjà les persiflages des éditeurs : « Les m’as-tu-vu écrivaillons prendraient-ils maintenant la porte de derrière pour assurer leur entrée sur la scène littéraire ? » Prétentieux, va. De qui se moque-t-on ? Réponse : de personne (sur la forme). Surtout pas du lecteur. André Blanchard est un original. Ses Carnets ont quelque chose de surannés mais de terriblement revigorants. Des bouts de chair, liés les uns aux autres, qui prennent corps avec le temps. « Des jours et des jours à ruminer. J’ai la tête comme un estomac ».
André Blanchard n’aime pas les conventions, les vanités sociales. On lui rend bien la monnaie de sa pièce. Après plus de dix ans d’écriture, et plus d’un millier de pages manuscrites, les maisons d’édition ne se sont pas pressées au portillon. En 1988, les éditions Le Dilettante acceptaient 70 pages de ses Carnets (avril-septembre 1987, Entre Chien et loup). En mars 1992, après quelques atermoiements, Erti, un éditeur de livres de cuisine et de bouquins régionalistes, prend le relais (De Littérature et d’eau fraîche, Carnets 1988-1989). Malgré quelques échos de presse enthousiastes, l’éditeur oublie de faire son métier. Pas de diffusion : 230 exemplaires vendus. Une misère ! (Le Dilettante aura fait légèrement mieux) Alors que faire ? Ses nouveaux Carnets (1990-1992) intitulés Messe basse viennent de sortir. Acheter le stock et se mettre au pied de la Tour Eiffel ?
« J’écris, pour n’avoir pas à exister », explique-t-il. Ce monsieur ne craint personne car il ne demande rien. Son seul étendard : tricoter ses pensées délétères sur ses cahiers comme une vieille dame filerait la laine en se demandant si la pelote aura belle allure.
L’écriture le comble et l’agace. « De vrais garnements, ces mots ! dès que j’ai le dos tourné, c’est parti ! ils font le cirque dans ma tête : des phrases ? des livres ? mais il suffit de demander ! Que je fasse seulement mine de retourner à mes cahiers, plus un ne moufte. » On l’a compris, tout tourne autour de la littérature. André Blanchard n’a pas seulement bien lu ses auteurs de prédilection, le Journal de Jules Renard, de Paul Léautaud, de José Cabanis, les correspondances de Flaubert, le Bloc-notes de Mauriac ou Proust, il a gardé d’eux le souffle, une énergie d’encre et de sang. Ces livres, il les lit, les relit, au point qu’on les imagine toujours à portée de mains, comme un missel(!) De cette vie dans « les jupes de la littérature », il s’est taillé des combines sur mesure : observer, commenter en laissant sa plume battre la rase campagne. Ainsi, peut-il en toute lucidité et en toute tranquillité répertorier les vagabondages de son esprit : se reprocher sa condition de traîne-misère, sa paresse, mettre en doute la valeur de sa production, l’intérêt de ses carnets, puis rebondir sur notre actualité circulante et bruyante, elle-même entrecoupée de notes de lectures incisives.
On pourrait évidemment dénoncer sa partialité, sa pédanterie un rien désabusée, sa manière de s’arroger le monopole de la vertu, ses avis tranchés (style « Les lauriers qu’on s’arrache à Paris sont toujours « un peu couverts de merde » »), mais cet « écrivain-remplaçant qui regarde jouer les titulaires » sème trop la pagaille pour lui reprocher quoi que ce soit. La sagesse et la jubilation de se mettre en mot, de caresser le lexique à rebrousse-poils n’ont jamais fait bon ménage. Ses têtes de Turcs -la religion, la bêtise, les médias, le milieu littéraire parisien- il a beau leur cogner dessus, elles reviennent inlassablement. Et fusent les mises en garde : la critique littéraire ? elle gagnerait à acheter ses livres : « déjà, elle serait plus regardante, sur l’article » ; un écrivain qu’il adore entre à l’Académie française ? « c’est comme si un monastère devenait le Vatican » ; un autre devant les caméras et les micros : « dès qu’un écrivain l’ouvre, c’est son livre qui a l’air de trop. » A son bureau, André Blanchard se fait grand commandeur. Il dispose de mille rosettes dans ses tiroirs. Il décore les méritants, épingle les tocards, traque les faux-semblants. A ce titre, Robbe-Grillet et Duras doivent eux aussi avoir les oreilles qui sifflent, tout comme l’écurie des éditions de Minuit dans son ensemble (mis à part Jean Rouaud), « des raseurs, qui, non contents de ne pas émettre en clair, nous prennent pour des frigides ». Personne ne pourrait lui en vouloir, quand bien même son acuité se fait moins constante. Sitôt passé ces accès -sans amertume, ni règlements de compte-, André Blanchard retourne à la mine, extraire des grosses pépites de ses galeries souterraines. Ainsi : « On regarde le ciel, ensuite la rue, la foule, tout ça. On tombe de haut« , ou »La vie, ce vice sexuellement transmissible », ou « Le divertissement est devenu une institution, habilitée à délivrer quelque chose comme de la vie à crédit ».
Un journaliste a écrit à son propos « qu’on en viendrait presque à se reprocher de ne pas le laisser pendant quelque temps dans l’ombre, comme un vin dont les années exalteront le bouquet ». A croire que le purgatoire exalte les sens et décuple le courage. En revanche, on peut formuler un vœu : celui utopique de voir rassembler l’ensemble de ses Carnets sous une même jaquette, prestigieuse de préférence. On en profiterait pour ouvrir une bouteille à la santé de ce satané dernier des Mohicans. Enfin ! Car depuis cinq ans qu’André Blanchard convie le lecteur à la maison, personne n’a entendu un verre tinter. On ne boit jamais chez lui ?

Messe Basse
Carnets 1990-1992

Erti (68, rue de Vaugirard
75006 Paris, tél. 45.44.27.77)
262 pages, 150 FF

André Blanchard : allumons les contre-feux Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°12 , juin 1995.