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Domaine français Les traces de Trassard

juin 1995 | Le Matricule des Anges n°12 | par Philippe Savary

Le monde rural est un univers rude et enchanteur. Nous sommes le sang de cette génisse : la terre vue de l’intérieur par Jean-Loup Trassard.

Nous sommes le sang de cette génisse

Certains écrivains trouvent leur bonheur dans la fugacité et la vacuité du temps qui passe. On dit généralement d’eux que ce sont de fins observateurs de notre époque. Ce ne sont que des marchands d’histoires à consommer sur place et vite périssables. La mode est mauvaise conseillère. D’autres répètent inlassablement la même rengaine, comme une prière, une déclaration, une voix à entendre pour que l’écho s’accroche et laisse une trace durable dans les conciences. Jean-Loup Trassard n’est pas un écrivain à la mode, et il est fort à parier qu’il ne le sera probablement jamais. Comment le serait-il ? Le degré d’exigence dans l’écriture tout comme l’agriculture ne sont pas des critères de réussite au box-office littéraire. Depuis 1961, Trassard ressasse la campagne, la sienne, celle de Mayenne, « où aucun promeneur ne s’aventure », à une poignée de lecteurs, humble comité fidèle à l’écoute de ce paysagiste de la civilisation rurale. Cette terre qu’il prend dans ses bras, qu’il honore, c’est par la langue qu’il la fertilise, langue vivante, travaillée mot à mot, au cul des vaches, traversant les prairies au rythme des « moteurs d’insectes » pour se reposer au creux d’un fossé -aux abords d’une haie. Une langue qui veut étreindre les odeurs, les regards, les silences, une langue qui veut percer l’intime secret des saisons, saisir le mystère des germinations. Celui qui participait dans les années 70 aux travaux de la commission chargée de l’écologie au Parti socialiste veut rendre compte de sa filiation, se préparer « à découvrir ce que trop d’attachements m’avaient peut-être cachés. ».
Son nouveau texte, Nous sommes le Sang de cette génisse, participe à ce même ruminement intérieur. Composé de six récits, il s’ouvre et se referme sur les saisons, la chaude, la productive mais aussi la douloureuse qui fait crisser le sol par manque de pluie. Dans ce livre, Trassard dit sa condition d’homme, son rapport à cette terre matricielle et les raisons de cette renaissance perpétuelle. Entre parole documentaire, travaux agricoles et flâneries, il arpente son « quartier » pour le saisir sur la page. « Assister à la joie du bétail », « sortir des brouettes fumantes » : l’action se mêle au souvenir, trace d’un patrimoine indivisible qu’il rêve de transmettre. Avec son habit de bourgeois, Jean-Loup Trassard milite pour la sauvegarde d’un présent -donc d’une mémoire- en voie de disparition. Et pour lutter contre cette disparition, Trassard fait appel à la mythologie : invoquer les dieux pour rendre éternelles les choses de ce bas-monde oublié, invoquer les dieux pour exprimer ce qui n’est pas exprimable.
Bien sûr quelques chroniques villageoises viennent de temps à autre épaissir le cours du ruisseau, colorer le chant de l’oiseau, mais la parole est sourde, « fermée de branches ». En Mayenne, on ne s’ouvre pas facilement. L’intégration n’est pas chose facile, « Les jardins sont toujours secrets. » Il y a des choses qu’on ne dit pas. Ça s’appelle « les jugements sous casquette ». Et à force de ne pas les dire, ni de les penser, on se demande si elles existent. Pour cette raison, les dialogues sont rares dans les récits de Trassard, comme la psychologie car « les circonstances n’en laissent pas toujours le temps ». Reste l’écriture, ces phrases graciles et chatoyantes qu’on voudrait lui voler, le dos tourné. Trassard écrit de la façon dont travaille un artisan : le geste précis et sûr et un profond respect -une dévotion- pour le matériau qu’il utilise. Risquons le cliché : les pieds dans sa campagne et sa besace à la ceinture emplie de joyaux taillés sur mesure, cet homme est un franc-tireur dans notre monde de brutes.

Nous sommes le Sang
de cette génisse
Jean-Loup Trassard

Gallimard
250 pages, 95 FF

Les traces de Trassard Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°12 , juin 1995.