La présentation est séduisante : un format aussi large qu’une main, généralement pas plus d’une quinzaine de pages, parfois sont insérés un billet de banque, quelques graffiti, des vignettes du code la route ou des photos joliment gourmandes, comme autant de clins d’œil à la complicité. Il vous en coûtera quelques pièces ou une paire de bas résille taille 2. ça dépend de votre commande. A l’intérieur, on trouve des textes brefs et ludiques, à mi-chemin entre la confidence et la correspondance, à coup sûr une invitation au partage. Haïkus, poèmes, récitations, exercices péda-gogiques : toutes les formes sont permises pourvu qu’elles soient légères et généreuses. Les thèmes ne souffrent d’aucune exclusion. Ainsi, le petit commerce est souvent bien traité : « Jean achète une fellation 70 francs et la totale 50 francs. Il paye en donnant deux billets de 100 francs. Combien la dame va-t-elle lui rendre. » (Marie-Laure Féray). Dans un tout autre registre : « J’ai trouvé du travail / Je vais pouvoir t’acheter un godemichet/ Qui ressemblera fâcheusement à un baculum » (Alban Michel)… Deux extraits volontairement choisis dans la boutique Cahiers de nuit, au rayon érotisme, où le chaland a l’embarras du choix : aussi des puzzles, des livres, des anthologies…
A ceux qui trouvent la production éditoriale corsetée, voici donc un bienheureux démenti apporté de mains expertes par cette jeune maison d’édition qui tourne résolument le dos aux réseaux commerciaux. Avec malice et bonheur, Cahiers de nuit, installée à Caen, s’est forgé depuis janvier 1994, date de sa création, un bien troublant catalogue, aux parfums enivrants, affichant l’érotisme et ses racines underground à la boutonnière, multipliant les collections comme autant de déclinaisons de son plaisir à faire lire.
A sa tête, une direction bicéphale, Serge et Marie-Laure Féray, la trentaine, mari et femme devant l’état civil, comme pour mieux assurer une complémentarité de la conduite éditoriale. Le premier cité traîne derrière lui un sérieux passé de militant. Nourri par l’influence de la Beat generation (il prépare actuellement une thèse sur Burroughs) et fan de Ballard, Dick, Jean-Paul Bourre, il collabora à la revue 23. C’est à la disparition de Rien, un bulletin bimestriel rouennais à vocation pluri-artistique dont il s’occupait, que Serge Féray entreprend l’idée de lancer une revue. Un premier contact avec Daniel Walther, un auteur de S.-F. fantastique, et la rencontre fondamentale avec Claude Pélieu, le seul écrivain français du mouvement beatnik, consolident les fondations. La revue sera érotique, « davantage dans la lignée du Journal interdit que celle des Feuillets roses ». Autant par goût que par engagement. « Puisque cette littérature est interdite, il faut en parler deux fois plus », martèle Serge Féray. C’est lui qui est chargé à Cahiers de nuit de « tout ce qui dépasse trente pages » ; à savoir la revue d’érotisme (la sortie du n°3 présente une anthologie de textes de...
Éditeur Cahiers de nuit : le plaisir des formes
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Philippe Savary
Les éditions Cahiers de nuit, installées en Normandie publient des textes miniatures où fleurent bon l’érotisme, la littérature américaine et le délice épistolaire. Une démarche artisanale terriblement attachante.
Un éditeur