Que l’on songe au travail de l’homme qui lime et qui abrase, à toutes ces tâches infiniment minutieuses et risquées, accomplies jadis à la main, et qui visent à évider, à alléger, à amincir sans amoindrir, à désubstantialiser sans appauvrir, dégageant les saillies, polissant les articulations, libérant les points nodaux, ramenant la matière première à ses origines -et cette discipline du renoncement, et cette ascèse sans relâche qui tend la forme jusqu’à la limite de la fracture ou de l’effacement, là où ce qui est, fragment, instant, passage, s’avère si proche du rien d’où il est issu et où il retourne, que le souffle, chez celui qui tient l’œuvre dans sa main, reste en suspens et comme saisi.
C’est ce qu’éprouve à chaque page le lecteur de Christian Hubin, convié à errer dans une architecture de langue et de pensée sans barre d’appui, et donc promis à l’espace vacant, face à un texte ici surgi comme la figuration abstraite d’un relief géologique, un socle rompu en mots et reconstruit de même. C’est en-deçà du paysage : matériaux désunis charriés par le temps immobile, végétaux, minéraux, sensations intenses, mais furtives, mais disjointes, triomphe de l’épars dans le silence du cœur qui se replie. Ainsi : « Ecoutant s’approcher les cils des morts, précédant les pierres, les ruisseaux, neigeant dans des grottes sans entendre » (p.153).
L’œuvre poétique récente de Christian Hubin (Personne, 1986 ; Hors, 1989 ; Continuum, 1991 ; tous ces textes publiés hautement chez Corti) poursuit sa solitaire exigence de vérité des mots, de justesse des images, de rigueur dans le dialogue avec le monde et dans la méditation sur soi-même. Comme une monnaie de bon aloi, sans concession, sans artifice, sans risque d’inflation, voici une matière de texte qui ne se mesure qu’à la gravité de l’expérience intérieure. La beauté vient en plus, comme un privilège conquis sur l’austérité du destin.
* Derniers ouvrages parus : Blesse, Ronce noire (Corti 1995) et Miroirs du texte (Deyrolle, 1995)
Ce qui est
de Christian Hubin
José Corti
125 FF
Poésie Un socle par résorption
novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14
| par
Claude Louis-Combet
Un livre
Un socle par résorption
Par
Claude Louis-Combet
Le Matricule des Anges n°14
, novembre 1995.