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Histoire littéraire Henry Miller, avant que le rideau tombe

novembre 1995 | Le Matricule des Anges n°14 | par Didier Garcia

De l’écriture à l’amitié, de la vocation littéraire aux élans d’un coeur : voyage dans la chair intime d’HenryMiller. Etourdissant.

Il ne s’agit pourtant pas d’une année commémorative il est né en 1891 et mort en 1980, mais 1995 aura beaucoup œuvré pour Henry Miller. En juin dernier, les éditions Denoël publiaient sa correspondance avec Blaise Cendrars (cf. MdA n°13). Christian Bourgois ajoute en cet automne deux volumes importants : les Lettres à Emil, l’ami d’enfance Emil Schnellock resté à New York durant la vie parisienne de Miller dans les années 1920 et 1930, ainsi que Mon Vélo et autres amis, dans lequel il célèbre les amitiés qui ont marqué sa vie. Une double publication qui révèle à la fois l’écrivain et l’homme.
Les Lettres à Emil couvrent les années de formation d’Henry Miller, de 1922, avec ses premières pages d’écriture, à 1934 et la publication de son premier roman Tropique du Cancer. Une longue traversée du désert, avant la signature d’un contrat.
Un apprentissage qui commence le 20 mars 1922, dans un enthousiasme qui deviendra une marque identitaire : « Grands dieux ! Ce premier jour de mon état d’écrivain m’a presque rompu le dos. (…) j’ai assuré mon quota quotidien, une bonne journée de huit heures que pas un syndiqué n’accepterait. J’ai achevé mes 5 000 mots et j’ai fait quelques retouches »
Miller vient d’arriver à Paris, non pour y villégiaturer, mais pour devenir un écrivain. Le ton ne variera plus guère ; les premières pierres sont enfin posées.
Cette correspondance avec Emil Schnellock révèle des débuts si laborieux que le lecteur s’étonne d’une telle obstination ! C’est que Miller n’a pas le choix : il lui faut dire ce qu’il a à dire, « avant que le rideau tombe ». Entre deux vagabondages dans la chair de Paris bars et prostituées demeurent ses territoires de prédilection, il note, rédige, prend des contacts, sollicite la lecture des amis, refuse de renoncer, malgré la dèche quotidienne qui lui fera dire après coup : « Ce dont nous autres, artistes, avons besoin, c’est de nourriture. Et de beaucoup. Pas d’Art sans nourriture ! »… Son ordinaire n’a en effet rien d’idéal, mais ni la faim ni les privations ne parviennent à ébranler sa foi, et bientôt, les feuillets s’accumulent, son Tropique du Cancer prend forme…
À quelques pages du point final, l’euphorie cède soudain au désespoir : « Je suis là, menant tant bien que mal mon livre ; j’en suis tout à fait au bout, mais je suis incapable d’écrire le mot fin. Et ça me rend malade et irrité… dégoûté… je le hais… je pense que c’est la plus ignoble merde qui ait jamais été. » La violence lexicale n’a évidemment rien de gratuit dans cet ensemble de lettres qui se donne à lire comme un journal.
La dernière missive qu’il adresse à Emil avant son grand retour à New York affiche de plus nobles sentiments : « Je pleurerai sans doute beaucoup en te revoyant (…). J’ai pensé à toi plus que tu ne peux l’imaginer. »
Chez Miller, l’écrivain ne parvient jamais à faire oublier l’homme…
Ce sont ses dettes de cœur qui font l’essentiel de Mon Vélo et autres amis, un florilège où il n’est question que de rendre à chacun ce qu’il lui doit. Amis, amours, amantes, rencontres d’un jour, femmes d’une nuit, tous les êtres qui ont compté ont droit à quelques mots de reconnaissance, parfois même à de troublantes confessions : « Je ne me suis jamais remis de la perte de mon premier amour. » Et toujours cet élan de bonté vers ceux qui ont croisé sa vie, même si cette manière de charité s’exprime après quelques tours pendables…
L’évocation d’une amitié aboutit naturellement à la résurrection d’une époque : le New York des années 1910, le Paris des années 1930 et de la villa Seurat, autant d’émerveillements pour le gamin qu’il avoue être resté toute sa vie.
Mon Vélo et autres amis réunit ainsi une imposante collection de portraits : aux noms célèbres d’Anaïs Nin, d’Emma Goldman, de Blaise Cendrars ou de Rabindranath Tagore, sont associés ceux de Joey Gray, cet original qui récitait des vers de Byron à son chien, d’Ephraïm Doner, ce peintre hassidique « juif à 101 pour cent », d’Alfred Perlès, l’auteur de Mon Ami Henry Miller…
Et une vie toujours tournée vers la joie : « Même s’il n’y avait pas grand chose à faire dans un endroit comme Wells, nous nous arrangions pour bien manger et bien boire et pour rire comme des fous. »
Le lecteur découvrira encore dans ces pages l’étonnant musée des admirations culturelles de Miller : Un Chien andalou de Buñuel, l’orgue Wurlitzer, les ballets de Nijinsky…
Pas le moindre répit dans ces deux volumes qui offrent de grands moments de lecture ! Miller l’avait lui-même pressenti : « Mes lettres sont probablement meilleures que mon travail achevé, pour la bonne raison qu’elles n’ont pas de barrières. » Meilleures ou non, elles font surtout regretter ces années où chacun pouvait rencontrer ce « gars de Brooklyn » dans quelque gargote parisienne. Comme le disait ce chauffeur de taxi auquel Miller venait de céder son manteau : « Les écrivains sont de drôles de types. » Oui, Miller est bien de ceux-là : vraiment un sacré bonhomme !

Lettres à Emil
traduit de l’anglais par
Frédéric Jacques Temple
Mon Vélo et autres amis
traduit de l’anglais par
Jean Guiloineau
Henry Miller
Christian Bourgois
310 et 268 pages, 120 FF chaque

Henry Miller, avant que le rideau tombe Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°14 , novembre 1995.
LMDA PDF n°14
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