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Histoire littéraire La correspondance d’un humaniste chinois

juin 1996 | Le Matricule des Anges n°16 | par Thierry Guichard

La publication des Lettres familiales de Zheng Banqiao est exceptionnelle à plus d’un titre. Pour la qualité de ce texte du XVIII° siècle, pour celle de la traduction et, surtout, pour la beauté du produit fini. L’oeuvre d’un éditeur talentueux.

Lettres familiales

S’il l’on devait attribuer la palme du plus bel ouvrage littéraire de l’année, on ne voit pas comment cette distinction pourrait échapper à Lettres familiales que Jacques Neyme, le direteur des éditions Encre marine vient de publier. En revanche, il serait tout à fait improbable que l’éditeur obtienne un jour une récompense pour ses qualités d’homme d’affaires.Voici, en effet, un ouvrage somptueux, imprimé à l’encre bleu marine comme tous les ouvrages de cet éditeur, remarquablement mis en page et dont la particularité formelle réside dans le fait que chaque page de gauche se déplie en deux, offrant ainsi un triptyque au lecteur.
Le pliage, à la main, permet de laisser sur la page la plus à droite les notes de Jean-Pierre Diény, grand connaisseur s’il en est de la littérature et de la langue chinoise.
Sur la page de gauche, les idéogrammes de Zheng Banqiao, l’auteur de ces Lettres familiales, sur celle du centre, la traduction.
La beauté formelle de l’ouvrage est ce qui saute immédiatement aux yeux, et l’on a un certain mal à croire qu’un tel ouvrage puisse n’être vendu que 150,00 F, le prix d’un roman quelconque chez un grand éditeur (papier translucide et coquilles compris). Jacques Neyme n’est cependant pas un sorcier.En amoureux fou de la littérature, il n’envisage tout au plus qu’à faire connaître ce texte à un maximum de personnes et à ne perdre qu’un peu d’argent.La bosse commerciale ne lui a jamais été octroyée.
Zheng Banqiao est né dans les dernières années du XVIIe siècle et fut surtout un peintre et un calligraphe (d’où l’envie de donner à voir la calligraphie originale). « Son écriture, explique Jean-Pierre Diény, concilie bizarrement la sollenité et la désinvolture. »
Les Lettres familiales dont il est question ici, sont au nombre de seize, toutes adressées par Zheng Banqiao à son neveuMo qu’il appelle son « frère cadet ». Recommandations sur la façon de vivre, sur les lectures qu’il faut avoir et celles qu’il vaut mieux délaissées, confessions sensibles, traité d’éducation et de morale, ces seize lettres dressent finalement le portrait d’un grand humaniste, soucieux de venir en aide aux nécessiteux, fidèle disciple de Conficius, grand lettré respectueux de la tradition. Zheng Banqiao fait très souvent référence à des textes anciens, à l’histoire réelle ou mythique de la Chine mais les notes de Jean-Pierre Diény nous éclairent suffisamment pour que la lecture se fasse sans que le manque de connaissance de la culture chinoise ne soit un obstacle trop sensible. Cependant, les sinisants y prendront un plaisir bien plus grand.
À l’heure où les dames patronesses s’extasient jusqu’à l’évanouissement devant la prose mielleuse d’un Paulo Coelho, la pensée de Zheng Banqiao apparaît comme une source fraîche et non encore détournée. Simple, (je juge les hommes dignes d’amour, je suis moi-même digne d’amour.Si je juge les hommes dignes de haine, je suis moi-même digne de haine), elle n’en est pas moins profonde. Les valeurs de générosité sont portées à un tel degré qu’elles nous paraîtraient un brin exotiques si elles ne se justifiaient pas par une poésie élevée au rang d’éthique.Ainsi, après avoir demandé à son neveu de distribuer lors d’un prochain voyage dans sa famille l’argent de son propre salaire, Zheng Banqiao rajoute-t-il : « Xu Zongyu et Lu Baiyi sont deux de mes anciens condisciples.Matin et soir nous nous suivions partout.Je me souviens encore de nos discussions littéraires dans un vieux temple : dans la galerie enruine, les feuilles mortes bruissaient au vent, et nous attendions le tambour de la deuxième ou de la troisième veille pour nous en aller (…). Mes amis n’ont pas eu de chance et sont aujourd’hui tombés bien bas. Il faut aussi leur donner une part de mon salaire pour ranimer notre ancienne amitié. »
Les préceptes qu’il distille restent de saison.Ainsi, replaçant les lettrés au dernier rang de la société (pour lui le premier rang est occupé par les paysans qui nourrissent tous les autres hommes), le poète met en garde son « frère cadet » et, à travers lui, son propre fils, contre ce qu’il appelle les « lettrés bornés ».Il va même jusqu’à donner une méthode de lecture, rejetant la pratique qui consiste à apprendre par cœur ou à lire beaucoup sans jamais relire : « il faut se garder à tout prix d ’écouter les lettrés bornés. Étudier par soi-même, en ouvrant les yeux et sans courber l ’échine, c ’est ainsi qu’il faut lire. »
On ne peut s’empêcher de penser à Rabelais à ses bibliothèques idéales ou imaginaires à ses ennemis les Sorbonnards. C’est qu’il y a le même souci humaniste chez le Chinois que chez le Français, la même volonté d’émanciper l’homme.
Œuvre salvatrice et, répétons-le d’un prix abordable, Les Lettres familiales ont été tirées à 600 exemplaires par Encre marine.Est-ce donc qu’il n’y aurait pas plus de 600 personnes capables de lire « en ouvrant les yeux et sans courber l’échine » ?
On aimerait croire le contraire.

Lettres familiales
Zheng Banqiao

Traduit du chinois par
Jean-Pierre Diény
Encre Marine
(Fougères 42 220 La Versanne)
176 pages, 150,00 FF

La correspondance d’un humaniste chinois Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°16 , juin 1996.