Sur les traces de Charles Monselet, Patrice Delbourg monte sa galerie de portraits. Il y a soigneusement classé 53 poètes et romanciers par date de naissance. De Charles Cros (1842) à Jean-Philippe Salabreuil (1940), Les Désemparés couvrent un siècle de littératures buissonnières. On imagine d’emblée qu’un aréopage saugrenu y réside, des marginaux fantasques, des malchanceux de toujours et qu’on les a enfin extirpés de leurs mystères, dégagés du guignon.
« Ni anthologie, ni florilège, ni manifeste, ni dictionnaire critique. Peut-être un choix de visites fraternelles chez quelques auteurs singuliers, insolites. » C’est à la fois le livre des grandes lectures et le fruit des angoisses d’un critique dont le travail est par nature condamné à la dispersion. Journaliste et écrivain, Patrice Delbourg souhaitait laisser à ses articles la chance qu’ont ses créations. Aussi a-t-il repris les papiers qu’il donnait naguère aux Nouvelles littéraires, à L’Événement du jeudi dont il assure aujourd’hui la chronique littéraire pour leur donner un nouveau souffle, une cohérence peut-être, un sursis.
Augiéras, Kowalski, Péret, Brauquier, Hyvernaud, Follain, Reverdy, Prével, Fourest, Calaferte, Robin… Les bibliophages ne feront pas beaucoup de découvertes et seront même surpris de trouver encore Cros (dont l’Atelier du Gué publiait des inédits en 1992 !), Bove, Gadenne ou Calet là où ne manquent pas -jamais- les vrais inconnus. Le terme de « désemparé » lui-même paraîtra abusif puisqu’il mêle aux douleurs d’André de Richaud le désarroi de Benjamin Fondane, les grosses colères de Darien aux douceurs de Norge. Cependant des pages qui comptent autant de suicidés (Giauque, Duprey, Luca…) peuvent bien admettre le mot qui rejoint toutes ces manières d’ « être contre soi ».
Reste qu’à fréquenter la prose joueuse de Patrice Delbourg, on prend le goût de relire Jean de La Ville de Mirmont, Jean Forton, Chaval ou Paul Chaulot. Et même s’ils ne poussent personne à la lecture éreintante de l’hétéroclite Jean-Pierre Brisset, Les Désemparés peuvent devenir le premier guide d’une génération de lecteurs, celle qui n’a pas encore découvert Jean-Pierre Dadelsen, Stanislas Rodanski, Salabreuil ou Gérald Neveu. Elle trouvera du plaisir à baguenauder sur les chemins de traverse débroussaillés souvent par de petits éditeurs, au cœur de ce « territoire de ferveur et d’extravagance ».
Éric Dussert
Les Désemparés
Patrice Delbourg
Le Castor Astral
258 pages, 98 FF
Histoire littéraire L’Académie Pas-de-chance
septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17
| par
Éric Dussert
Un livre
L’Académie Pas-de-chance
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°17
, septembre 1996.