La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Le piéton de Moscou

septembre 1996 | Le Matricule des Anges n°17 | par Eric Naulleau

Nouvelle tentative pour révéler le talent de S. Krzyzanowski, jusqu’alors aussi inconnu sur les hauteurs de l’Oural que sur les rives de l’Atlantique.

Les parutions en 1992 du Club des tueurs de lettres puis l’année suivante du Marque-page, ne furent guère à la hauteur de l’événement annoncé par les éditions Verdier : la révélation au public français de Sigismund Krzyzanowski (1887-1950), « génie négligé » des lettres russes. En manière d’aperçus sur « l’une des œuvres les plus graves et les plus vertigineuses du XXe siècle », l’on obtint un roman qui déméritait de son titre prometteur et un recueil de nouvelles trop inégales pour être convaincantes. Dans ce contexte, la sortie d’Estampillé Moscou s’apparente à un miraculeux écrit de rattrapage à l’occasion duquel le candidat ne se contenterait pas de combler ses points de retard, mais obtiendrait de surcroît la mention Très Bien assortie des félicitations du jury.
Avec le texte éponyme du volume (1925) -sous-titré Treize Lettres à un ami de province-, Sigismund Krzyzanowski s’inscrit simultanément dans la riche tradition épistolaire des écrivains russes et dans la lignée des arpenteurs urbains, des « trappeurs des grandes cités opaques », pour reprendre la belle expression d’André Hardellet : « J’ai déplié le plan de Moscou. J’ai l’intention d’étudier sérieusement cette tache bariolée, ronde comme un tampon, qui s’élargit avec le temps en prenant des couleurs différentes : non, elle ne m’échappera pas. Je vais la prendre en tenaillles ». Tentative d’épuisement d’une ville qui s’exprime tout d’abord par la mise à jour d’un cadastre obsessionnel. L’auteur n’ignore rien des huit cents rues de Moscou, de ses six gares ou de ses quarante fois quarante églises et se passionne en outre aussi bien pour ses enseignes -objet du deuxième texte du livre, que pour le camouflage de ses fenêtres durant la Seconde Guerre mondiale -dont il traite dans la dernière partie, parmi une vingtaine d’admirables petites proses.
Les longues déambulations à pied ou en tramway de Krzyzanowski se confondent avec autant de cheminements vers d’éblouissantes intuitions. Tel ce parallèle qu’il établit entre la manière de penser des Moscovites et la manière dont est construite leur ville, toutes deux fondées sur le principe de la « juxtaposition » -respectivement des idées et des édifices, par opposition à celui de l’ « analogie » (plus généralement, Moscou, « la ville des images », se trouve opposée à Saint-Pétersbourg, « la ville des idées »). Autre inspiration décisive dans la Quatrième lettre où tout à la fois l’auteur lui-même, plusieurs écrivains considérables (Essenine, Maïakovski, A. Tolstoï…) et la Révolution d’octobre sont comparés à Regardante, une figure mythologique dont les paupières ont été arrachées : « Regardante ne cherche pas à se protéger du soleil et, sans se plaindre, continue de remplir la haute et terrible mission de voir ».
Certains instants périlleux, lorsque le « trappeur » menace de verser « dans la mélancolie, voire dans la folie », se transmuent volontiers en moments de grâce, à la manière de cette observation d’une joueuse de marelle qui évolue en une méditation métaphysique au gré de laquelle apparaissent notamment Alexandre Grine et Andreï Biely. De quoi mettre l’encre à la bouche de tous les amoureux des lettres russes, sans que les lecteurs moins informés ne se trouvent exclus de ces plaisirs intertextuels. C’est sans doute assez dire qu’il convient sans tarder de placer ses pas dans les traces de ce piéton capital, qui marche ici entre présent et passé (auquel va clairement sa préférence), entre réel et imaginaire, entre le pays des Soviets et le « Pays des Néants » où trouvent refuge, selon lui, les mots orphelins des objets révolus qu’ils désignèrent jadis.

Éric Naulleau

Estampillé Moscou
Sigismund Krzyzanowski
Traduit du russe par
Eléna Rolland-Maïski
Verdier
160 pages, 85 FF

Le piéton de Moscou Par Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°17 , septembre 1996.
LMDA PDF n°17
4,00