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Domaine français La malle pleine de morts de Jean-Claude Pirotte

décembre 1996 | Le Matricule des Anges n°18 | par Thierry Guichard

Un Voyage en automne ressemble à la dérive d’un continent humain chargé de phrases et d’émotion, amarré à la nostalgie de Pessoa ou Lobo Antunes.

Lorsqu’il déménage, ou lorsqu’il part en voyage, Jean-Claude Pirotte n’emporte guère de bagages. Deux ou trois valises, au contenu mystérieux même pour lui et quelques livres qui lui collent comme un morceau de sparadrap. Lorsque c’est en automne qu’il part, Pirotte semble rester où il est : sous la pluie. Une pluie qui a au moins le privilège de masquer les larmes, d’écarter le pathos, de mettre en harmonie avec le monde (sinon la météo) celui qui cultive les idées noires comme d’autres des iris ou des œillets. Un Voyage en automne est un livre d’une tristesse lusitanienne, d’un deuil impossible à faire : celui de la jeunesse, celui d’une fille suicidée, celui de l’amour jeté dans un sac de plomb noyé au fond du corps. Incapable d’investir un espace littéraire défini (le roman), Pirotte sème ses bouts de récits, ses citations qui en disent long sur lui, ses souvenirs filandreux et ses correspondances avortées, puisque souvent le destinataire n’habite plus à l’adresse indiquée, ni à aucune autre. Et le semeur de phrases a beau vouloir épouser la silhouette du dilettante, avoir l’épaisseur de l’ombre, son travail reste précis, ses offrandes touchent au plus juste.
Ce que Pirotte dit de Chardonne, il pourrait le dire de lui-même : « Ses chroniques sont une manière de journal au fil duquel ce qu’il consigne des autres et du monde tels qu’il les pratique le dévoile lui-même, en quelque sorte de profil. » La modestie de l’écrivain belge le condamne à toujours préférer les mots des autres aux siens propres mais il a tant fréquenté les Dhôtel, Thomas, Cingria qu’on se demande parfois si ces citations ne sont pas de lui-même. Ces écrivains parlent une même langue que lui ; ensemble ils habitent un même lieu. Parfois, les lecteurs de Plis perdus, son précédent recueil, retrouveront ici les mêmes citations de Perros ou de Chardonne. On pourrait y voir du radotage mais on sait qu’avec Pirotte il ne s’agit que de fidélité.
Le voyage dont il est question est donc un déplacement physique (en deux temps et un seul mouvement) : déménagement de la désormais célèbre rue des Remberges à Angoulême pour les deux pièces qu’un ami lui prête dans la même cité charentaise et, dans la foulée, pérégrination songeuse vers le Portugal. Mais il s’agit aussi d’un voyage intérieur, où tel Orphée, l’auteur croise les chères figures disparues : celles des écrivains morts, celle de sa fille disparue à la suite d’un suicide réussi, après tant de ratés. Un voyage qui emprunte les chemins du dialogue et qui, contrairement aux discussions des ivrognes, ne tente pas de refaire le monde. Ainsi, comme le dit Charles Du Bos que l’auteur cite : « Les relations avec les écrivains morts en particulier sont au nombre de relations les plus poignantes, les plus solennelles, les plus consolatrices aussi, qu’un esprit puisse entretenir : pour ma part je sais bien qu’il n’est pas de jour où plusieurs d’entre eux ne soient mêlés à ma vie avec un degré d’intimité qui mène au bord des larmes. »
On pourrait voir de l’autoflagellation dans ce ressassage nostalgique des bonheurs de lecture et des malheurs de la vie. Mais Pirotte est comme ces hommes sensibles qui, pour répondre à un compliment ou à une injure, ont besoin que le temps soit passé, que l’émotion reflue et laisse place aux mots. Bien sûr, alors, il est trop tard. L’écriture, chez Pirotte, est ce qui arrive trop tard. S’adressant à des êtres qui ne sont plus là, elle atteint à l’universel, elle nous est renvoyée par l’écho des profondeurs d’où elle sourd et où elle plonge à nouveau.
Pirotte ne voyage pas tout à fait seul au Portugal. Véra, sa compagne, lui offre ici la possibilité de portraits drôles et touchants à la fois : « L’évocation seule de ce qui couve et fulmine en elle me blanchit la barbe, et je me rends bien compte alors qu’autoritaire n’est pas le mot. Mais il convient que l’une ou l’autre figure de style fleurisse le discours. L’euphémisme en est une. » Mais la compagne, justement, rend vite impossible la plongée aux enfers, la fréquentation des écrivains morts, le face à face avec les mots qui remontent doucement à la surface. L’écrivain est toujours en voyage. Même ici, il est ailleurs.
Et puis, partout, l’accompagne sa migraine. Lorsque Jean-Claude Pirotte ouvre les yeux au réveil, il lui arrive d’avoir la gueule de bois, mais il se pourrait que ni le porto bianco seco (le porto sec) ni aucun autre alcool n’y soit pour quelque chose : c’est peut-être l’extrême lucidité qui lui donne ses migraines. Lucidité face à la futilité des choses, lucidité face à l’incommensurable solitude, lucidité morbide dont il n’est pas possible de se défaire. Sinon en fréquentant les autres lucides, en les lisant plutôt, en les interpellant comme Pirotte le fait et en jouant pour le monde autour le rôle rassurant du vieil original : « Je suis resté si jeune que je ne m’étonne pas qu’on m’ait traité fort tôt de vieil imbécile. »
On pourrait se demander dès lors pour qui Pirotte écrit.Pour lui-même bien sûr. Pour ses frères les lecteurs qui n’ont pas toujours l’heur de partager les mêmes bouts de zinc, de Lisbonne ou d’ailleurs. Pour cette improbable terre de fraternité que l’ivresse parfois nous donne l’illusion d’accoster.Mais quand on lit cette longue phrase, nourrie aux lectures d’Antonio Lobo Antunes, «  (…) alors je me suis transporté à la cuisine avec mon tas de papiers, mon carnet, le manuscrit raturé, surchargé, exécré de Loin des geôles, ce livre qui exige de moi tellement de silence et d’éloignement et de retraite en moi-même et qui ne sera jamais qu’un fumeux récit dont tu diras qu’il ne valait vraiment pas la peine d’en faire tout un plat, le vent dévale en ululant la rua da Vitoria, tourne le coin, gronde en grimpant sur la terrasse et siffle sous la porte qui mène à la courette, le chat dort, je t’entends aller et venir, j’ai peur, oui, peur que tu surgisses à nouveau, j’en ai mal au creux de la poitrine, j’ai trop besoin d’être seul pour m’écouter me plaindre comme un veau, demain tu seras à Lisbonne, tu raconteras, ou tu te raconteras, combien je suis un type infect, une crapule déguisée, et je l’écris dans le carnet noir, je pleure la mort d’un voyage en automne et d’un amour qui portait l’hiver en lui comme tous les amours et je ne voulais pas le savoir », quand on lit ça, on sait déjà que Pirotte écrit pour notre bonheur.

Un Voyage en automne
Jean-Claude Pirotte

La Table Ronde
144 pages, 89 FF

La malle pleine de morts de Jean-Claude Pirotte Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°18 , décembre 1996.
LMDA papier n°18
6,50