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Domaine français Carnets de l’impasse

septembre 1998 | Le Matricule des Anges n°24 | par Philippe Savary

André Blanchard façonne sa vie, son œuvre au couteau. Un bon désinfectant contre l’air aseptisé du temps. Et si le trublion changeait d’arme ?.

Impasse de la Défense

Impressions, siècle couchant

Depuis Entre Chien et loup (Le Dilettante, 1989), une poignée de valeureux lecteurs s’oxygènent les zygomatiques avec les carnets d’André Blanchard. Chroniqueur d’un siècle qui n’en finit pas de finir, moraliste à la langue bien châtiée, ce singulier franc-tireur des lettres a le don de séduire. « En publiant des Carnets comme premier livre, je commence par où les autres finissent. Je n’ai aucun mérite à révolutionner ainsi la stratégie : cette manière d’avancer à reculons m’est innée. » Du haut de sa sentinelle, plantée à Vesoul, le pays des patates et des cerises, il cultive son pré carré avec une insouciance désabusée. Le chat à portée de caresses, sa plume batifole large, de ses lectures aimées (Léautaud, Renard, Green, Pergaud…), à celles détestées, des tics de l’édition, au monde comme il va mal. « Accroché à (son) drapeau d’écrivain le moins lu de France », Blanchard s’autorise en toute liberté à traquer la bêtise avec une insolence toute poétique. L’homme a ses habitudes et quelques péchés mignons. Bateleur du verbe, duettiste de panache, ce monsieur prend plaisir à cogner avec des jugements bien sonnés sur ceux qui font le métier (les médias, le cénacle parisien, les écrivains à la mode…), à renvoyer les curés à leur bénitier, à jouer à cache-cache avec l’écriture, histoire d’avoir le dernier mot, à se réjouir de son anonymat, à se moquer de lui-même. Les commentaires de ce vieil hibou, souvent de mauvais poil, ratent rarement leur cible. Loin du tumulte, « égaré de la vie comme elle bat », Blanchard digère ce que nous ingurgitons à grande vitesse et de bon train. Pareil à ces vieilles lavandières, il frappe et nettoie l’ouvrage à la force du poignet, rendant éclat à ses broderies ciselées. Un vrai régal. D’aucuns pourraient trouver son ton un brin réactionnaire agaçant, ses charges à l’emporte-pièce partiales, son esprit patraque, sa mise en scène nombriliste. Ce serait oublier la grande valeur de sa production : ses carnets sont une petite fabrique de littérature à ciel ouvert. Derrière son épaule, le lecteur ne se contente pas de relire, en éclairé, les plus grands (Proust, Flaubert…), il assiste également au livre qui se fait ou se défait, comme ce sang d’encre qui parfois laisse la page blanche. Par le biais de son journal, Blanchard transcende sa vie. Car pour ce raffiné styliste, « écrivain remplaçant qui regarde jouer les titulaires », l’écriture n’est pas un passe-temps, mais un véritable sacerdoce. Et peu importe l’endroit où l’on prie. La preuve, il a choisi Erti (après un seul essai au Dilettante), spécialisé dans les recettes gourmandes. En clair, un éditeur « où la littérature a son strapontin au sous-sol ».
Voilà donc aujourd’hui publiée la quatrième livraison de ses carnets, qui couvrent les années 1993-1995. L’ancien (son chat, vingt ans d’âge) a l’honneur de la couverture. Pour une fois, échangeons les rôles et ayons l’esprit chagrin. Bizarrement, le bonheur de lecture est moindre. Si les précédents volumes faisaient œuvre de purge, celui-ci parvient au mieux à désaltérer (ce qui n’est pas rien, comparé aux nombreux breuvages proposés sur les zincs des librairies). Habitué à noircir les marges de ses trouvailles, à attraper au vol d’implacables aphorismes, là on s’étonne à laisser filer les pages, crayon en main, la besace de bons mots à moitié vide. André Blanchard n’a pourtant pas changé : il poursuit à mi-temps son travail de gardien dans une galerie, et ses derniers carnets, parus en 1995, n’ont toujours pas attiré plus d’un millier de curieux, malgré une presse élogieuse. Alors ? Alors, il a beau rappeler qu’il « publie par faiblesse, par peur de n’être rien, par conformisme, et pour que mes proches n’aient pas honte de moi », il y a comme un empêchement, une retenue, dans ce qui est écrit. Ce qui faisait l’intérêt de ses carnets (le lien entre l’écriture et la vie) fait ici un peu défaut. Toujours « remplaçant » Blanchard ? Son enthousiasme, ses partis pris, sa mauvaise foi semblent tempérés, son entreprise d’introspection à demi ébauchée. Le temps paraît bien loin lorsque « Dès le réveil, ce sont des décombres que je dois enjamber, et je m’étale » (Messe basse, 1995). On le surprend ainsi, parfois, à être bavard, comme s’il fallait rallonger la sauce pour cacher la qualité moindre des morceaux choisis. En fait, avouons-le : on aime quand il noie ses « méchantes pensées » dans l’encrier. Lorsqu’il rumine sur sa propre condition de traîne-misère, à pourchasser ses maux, fulminant de colère, à deux doigts de passer la plume à gauche, c’est là qu’il est le meilleur : « Un jour sans fin a sa morale : c’est quand la vie en fait le moins, qu’elle pèse le plus. C’est ça l’ennui. » ; « Passé un certain âge, on vit comme on cite, de mémoire. » Et ces médias qui viennent manger dans sa main, en fait-il son beurre ? ça change quoi ? lui qui, avide de reconnaissance, fuit comme la peste les honneurs. Peut-être la lassitude ? Blanchard est le premier à avouer en avoir assez de ses carnets, jurer qu’on ne le prendra plus, qu’être écrivain ce n’est pas que ça. On peut soupçonner quelques frustations, évidemment légitimes.
Ainsi, pour prendre le mot au pied de la lettre, vient-il de publier conjointement son premier recueil de textes, intitulé Impressions, siècle couchant. L’idée de départ, écrit-il dans ses carnets, est de « traiter des thèmes, sur le pouce », une page maximum. Il est le premier à en reconnaître la difficulté… Effectivement, l’essai est loin d’être transformé. En abandonnant le je sur le terrain de l’écriture, Blanchard s’adonne à des exercices de style, sans grande audace, flirtant souvent avec la facilité. Bref, on conseillerait au gaillard, dare-dare, de retourner à ses carnets, s’il n’y avait en fin de volume, un récit d’une quarantaine de pages, Temps mort, d’une juste beauté. Ce texte est une succession de tableaux funéraires (avis de décès, mise en bière, veillée, messe, enterrement…) qui a pour cadre un petit village. La description, minutieuse et cérémoniale qu’en fait l’écrivain, s’apparente à un véritable travail d’orfèvre. Le deuil est source de vie : éveil des sens, rendu émotif, précision et pertinence du propos. La langue épouse l’entre-deux mondes au point que « vie et mort paraissaient avoir conclu un pacte, quelque chose qui ankylosait le temps. » Admirable.
Désolé Monsieur Blanchard : encore quelques efforts -peut-être faudrait-il inviter deux ou trois personnages- et la reconversion est bien assurée. La suite, vite.

André Blanchard
Impasse de la Défense
(Carnets 1993-1995) et
Impressions, siècle couchant
Erti (68, rue de Vaugirard 75 006 Paris)
234 et 120 pages, 150 FF chacun

Carnets de l’impasse Par Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°24 , septembre 1998.
LMDA PDF n°24
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