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Égarés, oubliés Régis Messac, réformateur contrarié

janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25 | par Éric Dussert

Auteur de romans d’anticipation pessimistes et d’une thèse fondamentale sur le roman policier anglo-saxon, il voulait aussi changer le monde.

Contrairement à une idée reçue, les rapports père-fils ne dégénèrent pas forcément en conflit. En ce qui concerne Régis Messac, c’est bien l’estime filiale qui a assuré la pérennité de sa réputation littéraire. Certes, sa place est encore très modeste mais, aux yeux des véritables amateurs de polars et de science-fiction, tout à fait essentielle. A l’instar de Michel Lebrun qui signalait Messac dans la plupart des éditions de son Almanach du crime (Guénaud, 1980 puis Veyrier, 1981-1982 et La Butte-aux-Cailles, 1983-1984), les spécialistes du genre ne font pas la fine bouche. Récemment encore, l’ardent militant de la réhabilitation des auteurs oubliés Didier Daeninckx profitait de son séjour dans Un Château en Bohème (Denoël, 1994 puis Folio, 1996) pour célébrer les qualités rares de Quinzinzinzili, roman dont le titre étrange ne dit rien du pessimisme profond.
Formidable précurseur, Régis Messac est le premier Français à s’être intéressé de près au « roman de détection » -appellation d’époque, on dit aujourd’hui polar ou roman judiciaire-, en le portant sur les bancs de l’université avec une thèse qui fait date, Le Detective novel et l’influence de la pensée scientifique (rééd. Slatkine, 1975). Dès 1929, il semait le bon grain. On est en droit de se demander si l’actuel succès des collections policières en France n’est pas une conséquence des huit années qu’il a consacrées à l’étude d’un genre alors tout à fait méprisé.
Plus largement, Régis Messac fut un auteur prolifique, habile à manier l’anticipation et la chronique sociale. Né le 2 août 1893 de parents instituteurs, Régis Messac suit la voie de l’enseignement. Recalé au concours de l’Ecole normale le 2 août 1914, il est mobilisé à Caen et doit rejoindre les tranchées où une balle lui perfore la tête. Il est trépané mais ne sera rendu à la vie civile qu’en 1919. Profitant cependant de son congé de convalescence, il obtient sa licence de lettres, puis il finit la guerre comme auxiliaire et, en 1922, tandis qu’il enseigne à Auch, est reçu à l’agrégation. Soucieux d’entrer à l’université, il profite de sa connaissance de la langue anglaise acquise sur le champ de bataille auprès des Tommies, pour demander à s’expatrier en terre britannique afin d’y poursuivre ses recherches entamées en 1921. Il enseigne à Glasgow (1923-1924) puis au Canada où il réside durant quatre ans. De retour en France en 1929, Messac voit s’ouvrir une décennie bénéfique. Il soutient d’abord sa thèse à Montpellier qui lui vaut la mention très honorable et le titre de docteur ès-lettres mais sans qu’il puisse changer réellement de statut. Déçu, Messac demande sa mutation pour Coutances où il s’installe avec sa famille.
Ce travailleur effréné offre alors à de nombreuses revues d’intérêt littéraire, syndicaliste ou pacifiste, fictions et chroniques sociales, scientifiques et politiques (La Quotidienne, L’Ecole émancipée, Encre rouge, Le Barrage, La Science moderne, la Revue de littérature comparée…). Il devient notamment un rédacteur régulier des Humbles de 1930 à 1940. Cette revue progressiste du milieu enseignant, sous-titrée Revue littéraire des (instituteurs) primaires, est dirigée par Maurice Wullens. S’y exprime une libre-pensée mâtinée d’espoirs libertaires. Ses collaborateurs, tenants laïques d’une évolution sociale antidogmatique, militent pour le respect de l’individu et le progrès moral de tous.
Malheureusement, la publication de ses réflexions sur la pédagogie vont contrecarrer les plans de Messac. Alors qu’il est inscrit au tableau d’aptitude à l’enseignement supérieur, il commet l’imprudence de s’ériger contre la sclérose du monde éducatif à travers des articles du Nouvel Âge, le journal d’Henry Poulaille. Il y appelle de ses vœux une révolution culturelle trente ans avant 1968. Surtout, il froisse un recteur rétif à ses méthodes pédagogiques dans un pamphlet tonitruant : A bas le latin ! (La Porte ouverte, 1933). Récompensé par l’octroi de classes de sixième, Messac broie du noir.
Dès lors, ses romans signalent un humaniste désemparé par l’étroitesse d’esprit de ses contemporains et les carcans collectifs. Auteur anonyme des Voyages de Néania (1926), il poursuit dans la voie des utopies. Des contre-utopies pour être exact car Quinzinzinzili (La Fenêtre ouverte, 1935), La Cité des Asphyxiés de 1937 (id., 1972) ou le posthume Valcrétin (romans édités par les Editions Spéciales [Lattès] en 1972-1973) indiquent que rien de l’avenir messacien n’est souriant. Motivés par la provocation dont il espère qu’elle conduira à un soubresaut moral (« Où est le bonheur ? Dans l’accord avec son milieu. Si nous vivons parmi les Crétins, soyons crétins. »), ces récits présentent une vue panoramique de sociétés futures ou parallèles. Pronostics acides et virulents où les générations à venir, vicieuses et méprisables, déforment les usages et les mots de la société occidentale afin de rétablir la souveraineté des plus malins ou des plus forts. Cependant, Messac, curieusement fasciné par le « san » (id est la merde) et la boue, ponctue ces échecs collectifs d’onomatopées grotesques et d’un humour fort grinçant. Face à la crétinisation générale, l’humeur de ses narrateurs varie. Tantôt désolée puis tout à fait insensible aux mésaventures d’une aberrante humanité. Le monde dégoûtant pourrait s’écrouler qu’ils hurleraient : « Je m’en fous ! Quinzinzinzili ! » (déformation par des enfants ensauvagés du « Pater Noster/ Qui es in coelis »).
Homme révolté, insoumis aux diktats politiques et militaires, il participe durant la guerre à l’organisation d’une filière d’évasion des jeunes gens soumis au STO. Il est arrêté le 10 mai 1943 à Coutances. Condamné à dix ans de prison, il est déporté sans raison en Allemagne où il meurt en 1944. Depuis, son fils Ralph – ex-journaliste d’Europe 1 devenu avocat, érudit amateur mais aussi bibliophage coprophile et ’pataphysicien – s’est consacré à la promotion de l’œuvre paternelle. Avec succès puisque, jadis en déshérence, elle suscite depuis les années 1970 un intérêt grandissant -une édition pirate de Quinzinzinzili a vu le jour cette année (L’Agly). Editeur d’un Pot-Pourri fantôme (Bellenand, 1958) et d’une plaquette sur La Révolution culturelle (1988), Ralph a contribué à la réédition des romans puis, en faisant don à la Bilipo de l’énorme collection de Pulp magazines constituée par son père durant ses recherches, il a permis que son nom règne sur une salle de lecture fréquentée pour ses raretés de la littérature populaire. Depuis la publication de l’Anthologie des écrivains morts à la guerre (Albin Michel, 1960), Ralph est le meilleur soutien de Messac.

Régis Messac, réformateur contrarié Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°25 , janvier 1999.