Les enfants qui vivent dans les romans de Nadine Brun-Cosme n’appartiennent pas à la faune turbulente des voyous, pas plus qu’à celle des tristounets. Comme Sébastien, le narrateur de Le Sourire d’Anaïs, ce sont plutôt des enfants sages. Ce qui ne veut pas dire qu’ils soient calmes, bien au contraire. Les sentiments, chez eux, sont comme les grandes marées d’équinoxe : ils recouvrent tout et les seuls mouvements de l’âme les occupent bien assez. Leurs parents, souvent, sont semblables. Dans les romans de Nadine Brun-Cosme, l’amour, l’amitié, la tristesse se conjuguent à tous les temps du silence. Un geste (s’asseoir sur l’herbe), un objet (une broche) suffisent à convoquer des tremblements du cœur. Et avec peu de chose la romancière provoque aussi chez le lecteur ces états d’âme dans lesquels il fait bon s’oublier.
Le Sourire d’Anaïs évoque d’abord l’abandon d’un appartement, le déménagement vers une nouvelle demeure. On se souvient que l’auteur s’était déjà essayé avec talent à un récit analogue dans Des pas dans mon ciel bleu. (Casterman, 1995). On en conclurait donc que le thème est obsessionnel, et il suffit de lire ce qu’il y a de sentiments forts dans cet abandon du lieu de l’enfance pour deviner où l’écriture prend sa source. Si quitter l’immeuble vieillot fait mal à toute la famille, c’est que chacun s’y était créé un observatoire intime pour apprivoiser le monde. Sébastien voyait toute la ville depuis la fenêtre de sa chambre. Sa mère suivait à l’oreille tous les bruits quotidiens qui donnent vie à un immeuble. Et surtout, l’extraordinaire voisine, Yvonne, racontait ses mille histoires comme on donnerait des caresses.La malicieuse grand-mère ouvrait ainsi autant de fenêtres sur l’imaginaire. Quitter tout ça, il faut le reconnaître, fait monter les larmes aux yeux.
La nouvelle maison est plus petite et Sébastien doit partager sa chambre avec sa grande sœur. Si elle possède un petit jardin avec un cerisier, la baraque aurait légèrement tendance à se prendre pour la tour de Pise. Pire, elle est à l’image de l’Ami huit orange du père, venu attendre Sébastien un samedi à la sortie de sa nouvelle école devant laquelle stationnent de belles limousines avec chauffeurs : elle fait pauvre… Heureusement, ce jour-là, Sébastien fera la connaissance d’Anaïs qui les gratifie de : « deux magnifiques sourires, un à mon père, l’autre à moi, et je ne sais pas où mon père a mis le sien mais moi, le mien, je l’ai reçu en plein cœur ! » Comme « Seb », Anaïs a quitté un vieil appartement pour s’installer dans ce quartier chic. Comme lui, elle a laissé derrière elle un amour et une vieille dame touchante. On ne racontera pas la suite. Même si l’on a envie de partager cette histoire de petites pierres précieuses trouvées dans la maison, ces cadeaux qui se font l’air de rien, ces jeux complices entre Sébastien et sa sœur, la découverte de la lecture que l’enfant fera. Il y a du bonheur à chaque chapitre, une émotion aussi humble que profonde dans chaque phrase. Nadine Brun-Cosme écrit sur de toutes petites failles apparentes qui mènent droit au cœur. Avec une attention et un respect si sensibles pour ses personnages qu’on referme le livre lu doucement, tout doucement. Une histoire pour les 10-11 ans dit l’éditeur qui doit bien savoir que l’enfance dont nous parle Nadine Brun-Cosme, on la portera en nous longtemps, comme un secret bien gardé.
Le Sourire d’Anaïs
Nadine Brun-Cosme
Illustrations de Frédéric Rébéna
Nathan
166 pages, 43 FF
Jeunesse Partir, c’est vivre encore
janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25
| par
Thierry Guichard
Émus, les adultes baissent les yeux et les enfants regardent très fort par les fenêtres. Les petits gestes cachent souvent de grands sentiments.
Un livre
Partir, c’est vivre encore
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°25
, janvier 1999.