La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Luca, l’O.V.N.I.

janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25 | par Emmanuel Laugier

Venu du surréalisme roumain, le poète Gheracim Luca, disparu en 1994, laisse une œuvre foudroyante. Premiers écrits et essai.

Un loup à travers une loupe

Ghérasim Luca l’intempestif

Alors que paraissent simultanément Un loup à travers une loupe, premiers écrits surréalistes traduits par l’auteur lui-même, et un essai considérable de Dominique Carlat, Gheracim Luca l’intempestif, il faut sans doute rappeler qui fut cet homme d’origine roumaine, qui écrivit à partir de 1946 en français tous ses livres et se suicida en 1994 en se jetant dans la Seine. Gilles Deleuze s’intéressa tôt à ce poète. Par quelques pages dans Critique et clinique ou ailleurs il ne cessa de signaler l’œuvre de ce petit homme fin, d’une sobriété implacable, au visage émacié et aux costumes rigoureusement noirs. Et de voir en ces livres une puissance de pensée liée à une véritable puissance poétique, ce que l’on peut appeler son devenir-bégaiement. Issu du surréalisme roumain, proche de l’esprit dadaïste dans sa plus grande radicalité, associé pour certains à la poésie sonore, Gheracim Luca, né en 1913 à Bucarest dans un milieu juif ashkénaze libéral, élevé dans le quartier juif de Dudesti-Vacaresti, s’appelle à l’origine Salman Locker. Ainsi, de Locker à Luca, il y a l’histoire d’un pseudonyme que lui propose un ami. Il y a, aussi, dans ce saut consommé d’un nom à un autre, cette réponse radicale et unique de Luca lui-même à une demande de présentation biographique : « Originaire de Bucarest, il se choisit durant son adolescence un nom et un égarement ». Ces mots, rétrospectivement, il est sûr qu’ils dessinent, dans leur laconisme, ce que la vie et l’œuvre de Luca allait devenir. Luca est élevé au contact de plusieurs langues, le roumain, le yiddish, « dont il n’est pas inutile de rappeler, précise Carlat, (qu’il) serait bientôt l’objet d’une mise à mort programmée », et le français, langue de l’intelligentsia roumaine, langue littéraire par excellence. Mais, alors que l’enseignement donne une large place à la culture des Lumières, la génération à laquelle il appartient devient également très sensible à l’ébullition viennoise et berlinoise. La passion de Luca pour Hegel, qu’il pût lire chez son ami et poète Gellu Naum, l’intérêt que Dolfi Trost lui fit partager pour la réflexion psychanalytique, tout cela constitue la mémoire de fonds, active et radicalement critique, de ce jeune surréaliste d’obédience dadaïste. Dans tous les cas Luca est en lutte contre tous les carcans d’une société et d’une pensée qu’il sent alors se fossiliser irrémédiablement. A partir des années 1945-46 il découvre la nécessité d’une sape des structures syntaxiques et paradigmatiques de la langue, entame sa réflexion sur le « hasard objectif » et formule sa « haine de l’homme axiomatique », autrement dit Œdipe. Un travail typographique s’amorce à l’intérieur de l’espace du poème, les répétitions, le bégaiement et les glissements d’un mot à un autre s’opèrent. Luca dénonce de plus en plus fermement les mystifications de la littérature et de ses références. L’écrit va répondre de façon intangible à l’oralité, comme s’il n’y avait presque plus de frontière entre le texte et la voix haute. Gheracim Luca met à jour, comme autant de lignes de fuite tourbillonnantes, une pratique hallucinante du bégaiement que l’on retrouvera dans le fameux poème Passionnément ou, entre autres, dans Paralipomènes (Corti, 1986) : « Comme si personne ne voyait/ Quelqu’un voit pourtant/ que nous ne voyons pas/ et que nous voyons pourtant quelqu’un/ Parfois/ Comme si nous ne voyons personne/ et comme si nous voyons pourtant/ quelqu’un/ Mais en général/ nous ne voyons personne/ même quand nous voyons quelqu’un (…)  ». Aussi, avant d’adopter définitivement en 1946 le français comme langue de création (il traduit ses premiers livres dont L’Inventeur de l’amour, suivi de La Mort morte [1994]), et de réussir à gagner la France en 1952, Luca est étudiant en chimie. Il participe déjà (nous sommes dans les années 30) à la revue Punctu (Le Point), à Alge (Algues) qui entendent être un remous perpétuel, frénétique, de recherches créatrices. Luca y intervient par des textes et dessins, ses « cubomanies » qu’il continuera à réaliser jusqu’aux années 90. Il y intervient d’ailleurs sans modération alors que les figures reconnues de l’intelligentsia roumaine sont de plus en plus séduites par l’idéologie ultra-nationaliste des Gardes de Fer. Luca lance un pavé dans la mare en publiant un texte au titre charmant, Pula : La Bite, qui visait l’historien en vogue Nicolae Iorga, ami des Gardes de Fer. Il est alors condamné par les autorités, mais rencontre dans sa cellule un typographe qui lui offrira l’occasion d’un contact avec le militantisme socialiste. Le lien entre l’esthétique et la politique devient alors pour Luca évident, jusqu’à ne constituer, selon la belle expression de Perros, qu’un seul mot : poéthique. L’essai de Dominique Carlat, Gheracim Luca l’intempestif, au même titre que la réflexion sur la poétique d’Henri Meschonnic, entend, lui aussi, ne jamais séparer la création de l’Histoire dans laquelle elle s’inscrit. Ce trajet complexe est relevé de façon très précise et très documentée, sur plus de quatre cents pages. Il s’agit là d’une étude unique à ce jour, incontournable pour sa rigueur et les informations inédites qu’elle fournit. Une partie du livre aborde, notamment, comment penser le passage de la période surréaliste de Luca à ses autres livres, publiés alors en France, tels que Héros-Limite (1953), Le Chant de la carpe (1973) et Paralipomènes (1976), tous au Soleil Noir que dirigeait François Di Dio (José Corti rééditera ces livres majeurs et publiera Théâtre de bouche [1987], La Proie s’ombre [1991]). Ainsi les textes surréalistes d’Un loup à travers une loupe ne peuvent pas être rapprochés des battements pulsionnels de la langue de Paralipomènes, par exemple. Mais ils sont néanmoins l’origine d’un incessant cheminement créatif. La voix de Luca, alors, « fonctionne(ra) comme une machine d’intensité émotive sur les nerfs et sur l’âme ». Mais le loup de Luca, à travers sa loupe, avait déjà lancé, dans un rire impérieux : « pour la conscience de soi un timbre poste et, en transparence, la langue qui le colle à son ombre ». Comme Compact de Maurice Roche ou l’œuvre d’Henri Michaux, Luca a ouvert le vol vertigineux d’une langue qui arrache l’homme à son ombre. Intempestif…

* A signaler sur G. Luca : le N°5 de la revue Supérieur Inconnu, des témoignages dans le N°15 de Java, et un hors-série des Cahier(s) du Refuge publié par le Centre international de poésie de Marseille.

Un loup à travers une loupe, Gheracim Luca
et Gheracim Luca l’intempestif, Dominique Carlat
José Corti, 92 et 402 pages, 85 et 150 FF

Luca, l’O.V.N.I. Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°25 , janvier 1999.
LMDA PDF n°25
4,00