Comme André Pieyre de Mandiargues trouvait dans chacun de ses « petits livres (…) un sentiment d’exaltation propice à la lecture », nombreux sont ceux qui se sont toqués du doux Pierre Bettencourt qui poursuit son exploration de la « pensée mammifère » (lire MdA n° 19) afin de résoudre nos problèmes terrestres. Ce faisant, plusieurs ouvrages prouvent qu’il donne à l’histoire de l’humanité un cours inédit.
Examinons le Discours sur le Grand Tout de 1996 : contrairement aux apparences, il ne concerne pas un totem divin mais bien l’Homme et, plus précisément, la vie de cet être bipède qui dépend, c’est à noter, de « particules complémentaires ». Opaques, fluides, élastiques ou électriques, ces principes actifs vibrent, fusionnent, caracolent pour enchanter la matière. L’artiste « ennemi-né de la foule » déclare son corps humain « terrain d’observation (et) source de connaissance plus importante que l’univers ». Exorbitant Bettencourt. De la mécanique des fluides célestes à la microbiologie cellulaire réinventée, il emprunte aux naturalistes et aux mathématiciens de l’âge classique leurs inventions et leur délire. Ce livre, il l’a conçu à des fins pédagogiques autant que récréatives. C’est à l’usage de ses comparses mammifères (ad usum delphini) qu’il transmet les clefs de sa cosmographie : femme, famille, dieu, le singe, les planètes. Curieusement rien sur l’art. Il fait l’impasse.
Les mêmes thématiques sont en jeu dans Après moi, le soleil. Le livre qui emprunte son titre résigné mais vif à un fragment de l’Histoire naturelle de l’Imaginaire (1969) est un recueil de proses variées datant pour la plus ancienne de 1947. Là, c’est le sentiment religieux qui s’impose. Bien entendu, il n’est pas plus conforme avec la doxa vaticane que sa prose ne l’est avec les canons du best-seller contemporain. Un Bettencourt plissé de malice y assène ses vérités délicieuses. « Quand je pense à Dieu, je lui fais l’honneur de croire qu’il n’est pas plus bête que moi : cela me rassure. » Allez après ça lui chipoter ses conclusions oniriques et ses dingueries. Certes, ses conclusions sont décalées ou farfelues mais elles sont pareillement d’une grande sagesse, logiques et surtout merveilleuses. Elles apportent la preuve qu’un philosophe gracieux peut rester le poète merveilleux pour lequel les arbres assistent aux obsèques des petites filles, la branche en berne.
Célébrant d’une exposition cet auteur unique et frais, la Bibliothèque municipale de Rouen propose un catalogue magnifique intitulé Les Désordres de la Mémoire (240 pages, 150 FF). Enrichi de commentaires de Pierre Bettencourt qui pimente d’anecdotes son propre parcours, il constitue un document nourrissant auquel on peut lier la petite Nomenclature des livres et plaquettes publiés ou édités par P. B. de Maurice Imbert. Libraire à Paris (Mouvements, 46 rue St-André-des-Arts, Paris VIe), ce dernier s’est attaché à étudier les rapports qu’Henri Michaux entretenait avec ses éditeurs. Bettencourt fut l’un d’eux et des plus proches, les voilà réunis.
Pierre Bettencourt
Discours sur le Grand Tout
Editions Robert et Lydie Dutrou
(16, avenue Léon-Bollée, 75013 Paris)
30 pages, 90 FF
Après moi, le soleil
Lettres vives
151 pages, 100 FF
Domaine français Les particules vitales
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Éric Dussert
De la microbiologie à dieu, on trouve tout chez Pierre Bettencourt. Ses écrits insolites sont des moments d’émotion dans un cosmos de brutes.
Des livres
Les particules vitales
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.