Une Chevrolet à vive allure, une bande joyeusement ivre et une femme enceinte sur la banquette arrière… L’Histoire de Bone démarre sur les chapeaux de roues. La future mère est si bien endormie que même l’accident ne la réveille pas. Elle n’émergera que trois jours après la naissance de la petite Ruth Anne, pas plus grosse qu’un os et aussitôt surnommée Bone. Rétrospectivement, cet épisode drôle et tragique prendra valeur de signe. Celui d’une enfance accidentée, bringuebalée entre l’amour d’une mère et les agressions incestueuses d’un beau-père fou.
Derrière l’affection et les jurons de la grand-mère, les rigolades des oncles francs coureurs et grands buveurs et les récits des femmes épuisées de trop materner marmots et maris, se dessine l’Amérique des déshérités. Le chômage, la faim, les coups. Un monde de fatalité sociale où la misère n’engendre que la misère…
L’Histoire de Bone aurait pu tenir en quelques lignes à la rubrique faits divers d’un journal local. C’est d’ailleurs par la photo d’une gamine ensanglantée à la une du News et collée dans l’album de la tante Alma, que l’histoire se termine. Sauf que ce premier roman, publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1992, restitue les faits et surtout la souffrance du point de vue de la gamine. Ecrit à la première personne du singulier, il libère comme un cri de douleur trop longtemps contenu. C’est aussi un aveu d’amour et d’incompréhension, face à cette mère qui finit par tolérer l’intolérable. Pour supporter cette réalité cauchemardesque, Bone se terre en elle-même et s’invente des histoires de tortures et de sacrifices. Entrée en littérature avec violence, pour en finir avec son douloureux passé, Dorothy Allison affirme à chaque ligne le pouvoir libérateur des mots.
L’Histoire de Bone
Dorothy Allison
Traduit de l’américain
par Michèle Valencia
10/18
416 pages, 65 FF
Poésie Mots à maux
mai 1999 | Le Matricule des Anges n°26
| par
Maïa Bouteillet
Des livres
Mots à maux
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°26
, mai 1999.