En plein Quartier latin, entre la Sorbonne et le jardin du Luxembourg, un écrivain veille sur ses livres et ses manuscrits en cours. Il se nomme Louis-Gabriel Besnard, alias Pierre Béarn, né le 15 juin 1902 à Bucarest, et il a connu un parcours tellement hors du commun qu’il paraît dérisoire d’en tenter une synthèse.
Pierre Béarn le voyageur a traversé le siècle de part en part et se prépare à visiter le prochain millénaire. Son entrée dans le monde des lettres remonte à la fin des années 1920. A cette époque, il n’a à son actif que les deux numéros de sa revue fugace Mysticisme lorsqu’il obtient le poste de secrétaire de Curnonsky, fameux gastronome et humoriste, ami d’Allais, surnommé « Sa Rondeur » par M.-E. Grancher. Après la mécanique en usine, la littérature a du bon. Le jeune homme publie d’abord un guide en 1929, Paris-Gourmand (NRf), suivi l’année suivante d’une biographie du père de la critique gastronomique Grimod de la Reynière (NRf). Il est lancé, devient critique d’art à Paris-Presse et Paris-Soir tout en écrivant L’Agonie de Suffren (1937, NEL), des romans, des récits de voyage, des nouvelles.
Les idées ne lui manquent pas, ni les expériences depuis qu’avec son copain d’enfance Pierre Véry, l’auteur des Disparus de Saint-Agil (1935), il est parti à l’aventure. Devenu marin, il conservera l’odeur des embruns à tel point que ses proses et poésies maritimes impressionnent Pierre Mac Orlan. Le théoricien de l’aventure passive lui concède la place de « seul poète de la marine en fer ».
En 1935, Pierre Véry atteint par le virus cinématographique lui confie sa librairie. Le poète est désormais à sa place. Il ne la quittera plus que pour s’évader en Afrique. Grâce à son commerce, il côtoie les surréalistes, Paul Fort, Cocteau et plus tard Malraux, Jacques Yonnet, un autre ami disparu. Pierre Béarn a enterré tant de monde. Il est le survivant d’un siècle qui recense ses trésors littéraires avant de baisser le rideau. Alors, même si la poésie fraîche et concrète de Pierre Béarn ne répond plus aux standards de l’élite poétique, il est assuré de passer à la postérité pour seulement trois mots. Et là, à part Cambronne, maître indépassable en la matière, on ne voit pas qui pourrait se targuer de renouveler l’exploit.
« Métro boulot dodo ». La trinité devenue historique appartenait originellement au dernier vers de l’ultime quatrain du poème Synthèse. Publié en 1951 dans le recueil Couleurs d’usine (Seghers), il évoque les années pénibles de l’orphelin : « Au déboulé garçon pointe ton numéro/ pour gagner ainsi le salaire/ d’un morne jour utilitaire/ métro boulot bistro mégots dodo zéro ». C’est sur les conseils du poète marocain Mohammed Khaïr-Eddine que Pierre Béarn diffuse son poème en mai 1968 sous la forme d’un tract polycopié à deux mille exemplaires. Hué par les étudiants qu’il a traités de gosses de riches, le poète tente de leur rallier les ouvriers de Billancourt qui ne songent pas encore à la grève. Les...
Entretiens Le siècle en trois mots : métro, boulot, dodo
Poète et prosateur depuis 1929, Pierre Béarn fêtera bientôt ses 97 ans. Si la parution du premier volume de sa Poésie complète n’obtient guère d’écho, il conserve assez de fougue pour agonir les poètes à la mode et les « masturbés du cerveau ».