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Domaine français Du petit névrosé au délirant majeur

janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29 | par Éric Dussert

Ce qui frappe d’abord dans La Grande Pâque, c’est la fébrilité d’un narrateur qui nous tire par la manche. Il a quelque chose à raconter, veut le faire vite. Ses deux premières phrases en sont étranglées d’angoisse. « Je devais quitter la rue de Turbigo le 17 avril 1960. Je m’étais lâché chez mon frère qui est patron en building vers le paramount. Il m’avait accordé avec estime 200 gros francs pour les fêtes de Pâques. J’avais les nerfs particulièrement malades, plusieurs jours de faim par-derrière. Ma mansarde était devenue innommable, la concierge aussi, qui m’insultait dans l’escalier. Les braillements vulgaires cessaient peu. Presque impossible d’articuler un rythme. La maison tremblait sur ses bases, deux étages au moins jouaient à l’attentat terroriste. » Voilà donc La Grande Pâque. C’est une sorte de livre-culte connu des rares propriétaires de l’édition originale de 1969 réalisée par Pierre Belfond -son unique éditeur jusqu’à présent, il avait truffé les admirables Légendes folles au volume de la Pâque puis donné L’Œil entrouvert en 1973, un recueil d’étrangetés de grande beauté.
Comme tous les livres authentiques, l’atypique Grande Pâque force le respect. C’est un texte échevelé sans doute, mais il s’impose avec la fermeté et le naturel des grands originaux. Jacques Besse avait qualifié de « déambulation » cette dérive intemporelle et poignante d’un homme seul et sans le sou durant un long week-end. Son errance à la recherche d’introuvables amis va durer trois jours et trois nuits de faim, de soif et de sommeil au fil desquels ses mots vont devenir heurtés, fébriles, son parcours incohérent. Seules les images du somnambule grimpent haut même si ses inspirations s’emmêlent. Plus bas, sur terre, ses pieds cognent contre les marches des Buttes-Chaumont, traînent près de la gare du Nord ou la bourse du Commerce. La nuit, il contemple Paris « en méditation » puis s’enfonce dans les rues, divague, soutenu par son rythme naturel.
Dans son monologue il a des bouffées délirantes. Il compose mentalement ses « femmes », en croise une en voiture rouge. Il a tourné toute la nuit pour ne pas dormir. « Il faut pourtant tenir jusqu’à mardi. » Reste que le parcours n’est pas sans grâce pour cet « ingénieur des fontaines » puisqu’au beau milieu de la rue une hallucination l’emporte : une « enthousiasmante polyphonie » de voix, de bruits et de moteurs forme le Chant de la ville, une vibration faramineuse qui l’exalte. Le musicien Jacques Besse renoue là avec l’unanimisme de Jules Romain. « Je ne suis pas encore au carrefour de l’Odéon, et déjà je sens toute la circulation des piétons et des voitures enchaînée par l’accent d’une future création lyrique, d’une décision chaleureuse et métallique de quelque ange roulant dans les sphères voisines des étages et des toits, installé au-dessus de nous, tout près de nous, dans la mouvance multidirectionnelle, comme un maître au clavier d’un orgue font les mécanismes sonores seraient le peuple de Paris et ses machines heureusement désuètes malgré l’élégance de leurs engrenages. » Plus loin, la mythologie s’invite : « Je remonte de nouveau vers Saint-Germain-des-près, je suis Mars, le drôle d’artiste, comme je viens d’être Apollon, Marsyas, Amphion et, terreur, le Fils. » Le périple s’achève au matin : « la fête de Pâques était officiellement terminée. Il faisait moins froid. Traversant le pont du Châtelet vers le sud aux alentours de 2h30, je titubai, et eu peur, sans hyperbole, de m’endormir debout, et même de basculer par-dessus le parapet. »
Il est frappant que Jacques Besse ressemble à Antonin Artaud. Tous les deux ont tempêté contre les psychiatres qu’ils ont approchés de trop près. « Je n’ai cependant pas (…) le confortable projet majeur d’insulter la médecine des fous, celle qu’on a récemment nommée psychiatrie, tant je sais que le progrès vit d’erreurs et de scandales, et qu’on ne peut réfuter ces erreurs, dénoncer ces scandales, qu’en célébrant le progrès. » Comme André de Richaud criait Je ne suis pas mort, Jacques Besse avoue « J’aime follement la vie ». Sous sa plume, les lettres f-o-l se combinent naturellement. Elles forment un constat sans effusion ni pose, un regret car sa vie aurait pu être plus docile. Né en 1921 à Paris, il est le fils d’un bijoutier devenu châtelain, il passe une enfance tranquille dans le Massif central, fait de belles études, suit les cours du jeune professeur Jean-Paul Sartre. Il s’engage dans des études de philo que la guerre interrompt et on le retrouve compositeur d’un Concerto pour piano et orchestre, directeur musical de la compagnie Charles Dullin (1943), auteur de la musique des Mouches de Sartre (1944). Il compose aussi pour les films d’Alain Resnais (Van Gogh), d’Yves Allégret (Dédé D’Anvers) et fait un voyage en Algérie au début des années 1950. Tout s’arrête là. Suit la période des « curieux internements » psychiatriques. « Et moi, moi seul qui suis malade/ D’admettre des poisons dans mon ventre poilu,/ Tu peux rire de moi, ô Grand liquide élu ». Après avoir connu la belle vie à « Singe-des-près », il entre à la clinique de la Borde en 1955 où les tenants de l’antipsychiatrie, Jean Oury et Félix Guattari le délivrent du « poison ». Ils lui ouvrent aussi les pages de leur revue Recherches où paraissent en 1966 les proses ahurissantes dont il a le secret, comme ce musicologique Solfège des rapports ou Des nouilles et des goupilles, un monologue délirant dédié à Boris Vian.
En 1973, un petit héritage lui permet de s’échapper du milieu médical mais on le retrouve dans la rue à Paris, un couteau planté au travers de la cuisse. Le retour vers la folie est amorcé. Comme l’écrit son ami le cinéaste Jacques Baratier, « le grand voyage de Jacques Besse ne s’est jamais terminé. » Le 30 mai dernier, à la clinique de La Borde, il aura simplement rejoint les limbes. Son esprit fantasque et son effervescente poésie rencontreront l’admiration qu’ils méritent. « C’est moi, l’affamé délirant, qui ne délire pas, (…) Mais pour qui ? (…) pour de futurs lecteurs de petits journaux intellectuels, et si tard pour tout le monde que ma réussite sénile me serait plus cruelle que son rejet vers le posthume. » En guise d’hommage, il ne reste guère plus qu’à attendre la réédition des Légendes folles dont l’étourdissant chaos rendait un son si libre, si… fou qu’on le devine sorti de la bouche d’un fameux Inspiré.

La Grande Pâque
Jacques Besse

Éditions La Chambre d’Écho
23, impasse Mouret 75012 Paris
96 pages, 75 FF

Du petit névrosé au délirant majeur Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°29 , janvier 2000.