Les éditions Circé s’obstinent depuis plusieurs années avec une admirable constance et quelque succès à prouver qu’Ivan Gontcharov (1812-1891) ne fut pas l’auteur d’un seul livre, le célèbre Oblomov -d’où dérive l’oblomovisme, ce mélange de langueur et d’immobilisme en quoi Lénine diagnostiqua le mal russe par excellence.
Après La Terrible Maladie, Le Mois de mai à Saint Pétersbourg et Une histoire ordinaire, paraît aujourd’hui une brève œuvre de jeunesse récemment redécouverte, manière de nouvelle policière avant la lettre largement frottée d’auto-ironie. De fait, Nymphodora Ivanovna retient moins l’attention par son intrigue devenue aujourd’hui des plus classiques aux yeux des amateurs de romans noirs -un homme se fait passer pour mort afin de dissimuler un crime et refaire sa vie- que par un humour pince-sans-rire dont le premier exemple n’est pas sans annoncer Henri Michaux : « Imaginez (c’est indispensable pour mon récit) que votre aimable époux, ce doux et tendre époux, qui restait sagement assis dans votre loge et qui payait dans les magasins, ait disparu soudain, fourré on ne sait où… qu’il se soit perdu, fourvoyé, écroulé quelque part… Mon Dieu ! N’avez-vous jamais égaré un ruban, une bague, un bouton de manchette ? Il y en a tellement ! Il est impossible de se rappeler chaque babiole et l’endroit où on l’a déposée. » Ce plaisant parasitage (« Cette histoire vous paraîtra peut-être farfelue, mais je la tiens d’un document écrit, et il faut se fier à l’écrit. ») n’empêche nullement Gontcharov de fort bien mener son affaire tout en s’autorisant au passage quelques détours vers le vaudeville et l’anecdote historique. Un précieux petit livre à découvrir avant d’aborder le versant monumental de l’auteur (Oblomov, déjà cité, mais aussi La Frégate Pallas et Le Ravin, tous parus à L’Âge d’Homme).
Nymphodora Ivanovna
Ivan Gontcharov
Traduit du russe
par André Cabaret
Circé
96 pages 72 FF
Domaine étranger Gontcharov côté court
janvier 2000 | Le Matricule des Anges n°29
| par
Eric Naulleau
Un livre
Gontcharov côté court
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°29
, janvier 2000.