Le Bâton de cèdre
Signe des temps, le tragique passé concentrationnaire de l’extrême-nord russe n’affleure qu’en de rares occasions sous le permafrost dans cette anthologie bilingue de poésie sibérienne. Seul le texte de Boris Sloutski (1919-1986), proposé en ouverture du volume -manière sans doute de tourner définitivement la page et de passer à autre chose- y fait précisément allusion : « On expulsa les philosophes/ Par wagons entiers et convois/ Puis on les installa au cœur/ Des forêts. Ensuite ils noircirent/ La Toundra, ses neiges vierges ». Auteurs inspirés à distance par ces lointaines immensités ou natifs des rives du lac Baïkal, tous impressionnent dans ces pages par leur souffle et une manière résolue de poser la voix, à l’exemple d’Alexandre Tvardosky (1910-1970) : « Sibérie !/ Forêts et monts amassés,/ De terre il y a assez/ Pour cinq Europes ici/ Et toute leur musique. » Dans un ensemble aussi remarquable que divers, encore rehaussé par la belle traduction de Christian Mouze, se distinguent le mélancolique acquiescement au monde de Mikhaïl Vichniakov (né en 1945) : « Comme si on n’avait pas eu le temps de vivre./ Comme si manquaient au destin accompli/ le jour clair,/ le rayon sur la joue,/ et le pressentiment d’une route lointaine,/ peut-être, dans les forêts au-delà d’un village d’automne,/ ou peut-être en soi », les sombres prophéties d’Andreï Roumiantsev (né en 1938) quant au destin de la Russie : « De nouveau tes chemins de ronces/ Et, annonçant un temps de troubles,/ Partout des aventuriers/ font serment de te sauver » ou telle strophe élégiaque de Nikolaï Kliouev (1884-1937) : « Le calme de l’aube, l’accordéon dans les ténèbres,/ La fumée d’un séchoir et le chanvre sous la rosée…/ Mes lointains descendants s’étonneront/ de ce »j’aime« sans limites. »
Le Bâton de cèdre
Poésie de Sibérie orientale
du vingtième siècle
Traduit du russe
par Christian Mouze
Alidades/Eurcasia
160 pages 120 FF