Nicolas Cendo est un homme discret, et un auteur rare. Les contrées qu’il fréquente sont très éloignées des lumières coupantes et crues du battage médiatique : ses paysages se meuvent plutôt dans une pénombre discrète, comme l’indiquent les titres de ses précédents ouvrages1 -ainsi que le dernier, Désaccordé parmi les ombres2, où il nous offre en quarante-neuf petites proses un monde oxymorique d’ombres lumineuses et d’immobilités tremblées. L’écriture de ce court recueil est à la fois nette et retenue, chuchotée, comme pénétrée d’une tension qui prévient de tout débordement. Son territoire est très réduit : une luciole, un cri soudain, un amas de poussière au pied d’un meuble, l’éclat feutré du jour qui meurt, et on est comme basculé vers ces heures incertaines où, au sortir d’un somme au cœur de la journée, on hésite à nommer les lieux, les objets, tant on ne sait plus très bien si ce réel qui nous abrite ne serait pas prompt à s’effacer et disparaître encore.
Cela va sans dire, il s’agit d’une écriture sans effets de manches, clins d’œil audacieux, ou références amusées. Elle joue sur très peu, s’attache à saisir des instants enfuis sitôt nommés, des ombres mouvantes et changeantes, des bruissements de palmiers, la fraîcheur qui s’attarde autour des rideaux, des voix d’enfants, un parfum d’herbes -comme une ténacité à saisir l’insaisissable, qui la situerait, cette écriture si tendue, aux lisières incertaines plus qu’au cœur des clairières, toujours en équilibre instable, et proche de ces « limites où tout peut basculer ». Cela pourrait d’ailleurs apparenter les proses de Nicolas Cendo à certains textes de Philippe Jaccottet, dont il se sent proche sans doute -avec cette différence que le monde que nous restitue Nicolas Cendo est peut-être encore plus resserré, plus immédiat et plus concis. Mais il ne faudrait pas réduire cela à un exercice de style, quelque chose comme un numéro d’équilibriste. Il y a cet entêtement à nommer parmi les choses du monde les plus éphémères et ténues. Mais il y a aussi cette menace douloureuse, qui forme en creux l’espace dans quoi vient s’inscrire le texte. Car le silence n’est jamais loin, qui de toute façon renverra au néant la poussière accumulée, le clapotis des vagues, la voix de celui qui écrit, et toutes les voix avec.
On referme le livre, et le silence est toujours là. Mais il y a eu ces mots qui l’ont, pour un temps, un peu mieux circonscrit.
1 Sans issue la lumière, Jacques Brémond, 1983 ; Dans cette obscurité, Flammarion, 1985 ; Pour une absence, Lettres de casse, 1988 ; La Verrière, Flammarion, 1991.
2 Éditions Spectres familiers, 1999. Notons ici l’excellent travail de l’éditeur, et le soin apporté à la qualité de ce livre.
Christian Garcin
Christian Garcin est écrivain.
Dernier livre paru : Vies volées (Climat 1999)
Poésie Nicolas Cendo, entre ombre et lumière
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Christian Garcin
Des livres
Nicolas Cendo, entre ombre et lumière
Par
Christian Garcin
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.