Ne me secouez pas, je suis plein de larmes.« Cette inoubliable phrase de Henri Calet aurait pu figurer en exergue de Ma Vie folle, témoignage vivant et frontal d’un homme hanté par le spectre de son enfance. C’est que cet homme qui s’avance sous les feux de la scène ne pleure pas, il résiste, il hurle en silence, malgré l’âme vidée, le cœur écrasé. Richard Morgiève, puisque c’est de lui qu’il s’agit, mais peu importe, »prisonnier vieillissant« de cette enfance désastreuse, se raconte, les poings serrés, le ventre noué, la nostalgie en écharpe. Abruti par le sort, l’écrivain dépose sa carcasse béante en pleine lumière, et avouons-le, on se retrouve sonné, puis ébloui par cet urgent don de soi, tant les mots s’affolent, au plus près du corps. Il a fallu un vent de désamour lancé par sa troisième femme pour que la boîte à abandon s’ouvre, libérant les souvenirs funestes, où »tout se referme comme un œil fatigué« . Comment habiter son nom après la mort précoce de ceux qui vous ont mis au monde ? Comment exister, sans foi ni loi, alors que l’appel de la chair, illusoire calmant, vous démange ? »Il n’y avait pas de paix sur terre pas d’amitié pas de sœur et pas de frère que le cul.« Écrit au fer rouge, Ma Vie folle est une déchirante découverte de soi au fond d’une douleur innommable. Dans ce souci d’arracher le mal par la racine, Morgiève déchaîne ce qui le tord, ouvre les veines de ce qui le constitue, cherche le pénis du père, le sein de la mère. L’onguent de ce qui soulage. Le chemin à suivre pour comprendre la valeur de ce satané héritage. En vrac, »témoin du néant« , l’écrivain déroule sa vie d’amputé : ses instincts minables, ses penchants homosexuels, son orphelinage ( »un petit traître grossi à la cortisone (…) obligé d’accueillir l’ennemi« ), ses femmes qu’il a aimées et qui l’ont aimé, cette mort partout ruisselante, impossible à conjurer, jusqu’à la naissance de ses propres enfants ( »horreur de voir sortir un enfant là où je pensais que ma mère était morte"). Il y a ici évidemment un grand risque à tant se dépouiller, et tomber dans les travers pitoyables du malheureux pantin exhibitionniste. L’autofiction, en guise de thérapie, est souvent la meilleure façon d’écrire un mauvais livre. Sauf que là, Morgiève s’avance comme on se jette par la fenêtre. Entièrement. Les mots pour éviter le gouffre. Les mots pour s’abriter de la mort. Certes, on pourrait sourire de certaines analyses psychanalytiques un peu potaches. Mais elles sont assumées, car elles portent en elles toute la vérité, la dignité, l’amour et l’extrême fragilité de la parole donnée. Ce qui n’est pas rien.
En revanche, le lecteur sera (peut-être) plus circonspect avec Ton Corps, qui est une suite, long poème du manque où l’auteur tente de reconstruire, de faire renaître, morceau par morceau, ce corps inerte, après le départ assommant de l’être aimé. Travail également sur le pouvoir absolu de l’écriture, Ton Corps tutoie parfois le procédé et la ferveur qui s’y...
Dossier
Richard Morgiève
A bras le corps
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Philippe Savary
Richard Morgiève brise les chaînes de la fatalité en deux volets. Une cérémonie des aveux, redoutable et libératrice.
Un auteur