Quelques articles et surtout des entretiens dont Nabokov ne sort pas plus grandi que rétréci.
Curieusement indemne.
« En préparant les entretiens, invariablement j’écris mes réponses (en ajoutant parfois des questions supplémentaires). » Elles « doivent être considérées comme un texte inédit et devraient être imprimées textuellement et intégralement : j’en conserve d’ailleurs la propriété littéraire (…) Il se peut que je fasse des observations improvisées ou des plaisanteries durant mon entretien, mais elles ne doivent être publiées qu’avec mon accord ». Ouf : c’est ce qui s’appelle préparer le terrain (Breton faisait de même, dont les réponses étaient toujours écrites), et en conserver toujours jalousement la maîtrise. Dans un système à ce point verrouillé, il ne faut pas s’étonner que rien ne filtre. Lorsqu’une question déjoue le bel ordre, il est toujours possible de lui opposer une fin de non-recevoir -en soulignant même, narquois, l’esquive : « J’ai accumulé ici suffisamment d’aphorismes pour faire croire que votre question à propos d’Ada a reçu une réponse. »
Une fois, juste, alors qu’il se remémore avec un plaisir gourmand certaines scènes des Laurel et Hardy, le maître semble perdre pied… Mais pour le reste, bienvenue sur la planète Nabokov, aux reliefs sans surprise. L’archer virevolte, et décoche ses flèches accoutumées, pourfendant (presque) tout ce qui brille au ciel de son siècle. Il est une modernité intellectuelle assommante : pêle-mêle, le « charlatan viennois » et la cohorte des analystes, le discours social et « les monographies savantes sur des groupes minoritaires », « le genre entretien à la française qui commence par : Jeanne Dupont, qui êtes-vous ?« , »le racket du symbolisme dans les écoles », etc. Évidemment, c’est drôle, et souvent pertinent. Toutefois, accumulation d’entretiens oblige, c’est répétitif (certaines gifles, lorsqu’elles sont administrées ponctuellement dans les romans, claquent plus flamboyantes) et parfois même exaspérant : « Je suis immunisé contre toute opinion », claironne Nabokov, mais combien faut-il de cynisme ou d’aveuglement pour évoquer « l’aide sincère et désintéressée que les États-Unis apportent aux nations en détresse » !
Lire Parti pris revient donc souvent à frayer avec un chasseur de papillons sis au Palace Hôtel de Montreux, dont l’assez sale gueule nous toise en couverture. Mais ledit chasseur a su prévenir son auditoire : « Plus le problème est grand, moins il m’intéresse. Certaines de mes plus grandes préoccupations sont des taches de couleur microscopiques ». Il faut donc se munir d’un microscope, car c’est bien dans l’infime, dans le détail, que le créateur de Pnine et Lolita, celui qui « pense en images », s’avère divin -comme dans ces quelques lignes consacrées à la mort d’un poète russe : « encore une fois la vie a été légèrement déplacée, une autre habitude encore -l’habitude qu’on prend soi-même de l’existence d’un autre- a été perdue. Il n’y a nulle consolation si l’on alimente ce sentiment de perte par des souvenirs d’une image humaine, brève, fragile, qui fond comme de la grêle sur le rebord d’une fenêtre. Tournons-nous plutôt vers ses poèmes ». Tout près de l’entreprise délirante de contrôle, il y a encore cette prose, déchirante et infiniment ouverte. Tournons-nous plutôt vers elle, nous voilà réconciliés avec le démiurge.
PARTI PRIS
VLADIMIR NABOKOV
Traduit de l’américain par Vladimir Sikorsky
10/18
378 pages, 55 FF (8,38 E)
Domaine étranger L’enchanteur impavide
août 2001 | Le Matricule des Anges n°35
| par
Gilles Magniont
Un livre
L’enchanteur impavide
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°35
, août 2001.