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Égarés, oubliés Marc Stéphane, pamphlétaire rural

août 2001 | Le Matricule des Anges n°35 | par Éric Dussert

Autonome des lettres, le trimardeur Marc Stéphane fut l’inventeur d’un langage. Ses récits, plus que ses pamphlets, constituent en 1928 un événement linguistique qui précède de peu le Voyage d’un certain L.-F. Céline.
Parmi les écrivains oubliés, Marc Stéphane tient une place à part car il a conquis un lectorat infime qui se perpétue tant bien que mal. En attendant la relève, les éditions de la Butte-aux-Cailles furent en 1983 les dernières à relancer son grand texte, Ceux du trimard, dont le titre claque comme une bannière, celle des pauvres, des loqueteux et des vagabonds. Dès les années 1920, son cas a paru clair, c’est-à-dire désespéré. Dans son essai moqueur sur la Stratégie littéraire (1928), Fernand Divoire, le chroniqueur de L’Intransigeant soulignait le sort des écrivains mal engagés parce que mal armés : « On a le coeur serré de pitié, disait le journaliste, à considérer le sort promis aux naïfs qui entrent sans armure dans la bataille [de la vie littéraire]. Biches candides dans la forêt, malheureux et malheureuses, les pires destins vous attendent ! N’êtes-vous point déjà convaincus, et faut-il vous citer des exemples ? Combien de bons esprits ont vu leur carrière brisée, parfois dès le début, pour une faute de tactique ! » Et Divoire de citer quelques exemples. Autour de notre homme il écrit : « Pour Marc St[éphane] qui entra en pleine mêlée avec la belle indépendance de l’aurochs dans le magasin de porcelaine, le miracle ne s’est pas encore produit. » Il se produira pourtant le 26 avril 1928 lorsque Léon Daudet signe dans Candide un article élogieux qui manque d’imposer Ceux du trimard aux académiciens Goncourt. La prose est trop neuve, trop personnelle, trop verte aussi pour retenir les suffrages. À cinquante-huit ans, Marc Stéphane inscrit son nom dans les annales après avoir longtemps bataillé de la plume.
L’écrivain Marc Richard, né le 2 août 1870 à Saint-Étienne, pays du parler gaga propre à la région lyonnaise est très tôt l’indépendant, le réfractaire qu’il restera toute sa vie. Fils d’un droguiste décédé en 1878, il se brouille avec sa mère à l’âge de dix-sept et prend la route. Il est trimardeur, vagabonde, migre sans cesse à travers la France. Il ne se stabilise qu’à la fin du siècle lorsqu’après avoir publié ses premiers récits, À toute volée (1891) chez l’éditeur Savine, il opte pour le pseudonyme de Marc Stéphane trois ans plus tard et donne les Savants Devis et joyeux rythmes d’un buveur de soleil. Fier et digne « hobo », il y revendique « l’inénarrable honneur de vivre pauvre et de saigner les larmes du Calvaire pour la plus grande gloire d’un art intransigeant, assoiffé d’absolutisme ». On ne lui reprochera pas la tiédeur. Bien engagé, il entreprend une série de pamphlets passablement amphigouriques dans l’esprit des en-dehors Georges Darien, Léon Bloy dont il sera l’ami ambivalent ou Henry Fèvre. Il les intitule, candide, Aphorismes, boutades et propos subversifs d’un ennemi du peuple et des lois (1903-1910). Parallèlement, il publie sous sa propre marque du Cabinet du pamphlétaire des romans et un témoignage sur Saint-Anne, La Cité des fous (1905), où l’avait mené une trop grande consommation des Fleurs de morphine. Ce séjour en hôpital psychiatrique lui offre encore le sujet d’« Un drame affreux chez les tranquilles » qui constitue un chef-d’oeuvre de la littérature fantastique et d’effroi. Le recueil auquel il appartient, Contes affronteurs (1910), aurait d’ailleurs dû rencontrer le succès mais la littérature est décidément bien mauvaise fille. Reste qu’elle tient ses répertoires à jour et que Marc Stéphane ne sera pas complètement oublié. Grâce à Léon Daudet, Ceux du trimard atteint un beau succès. Le livre lui assure pour la première fois des rentrées financières. Le rachat par Grasset des droits de l’ouvrage à son éditeur, le libraire Liot, met du beurre dans les épinards de l’ouvrier agricole. Spécialisé dans la culture maraîchère, Marc Stéphane travaille alors dans la banlieue parisienne et vit dans une pauvre chaumine avec sa compagne qui n’admet pas l’appartement bourgeois.
Si l’on se souvient encore de Marc Stéphane, c’est qu’il est, le croira-t-on, le précurseur de Céline dans l’usage de la langue populaire. Comme lui, il s’inscrit dans la brillante lignée de Jean Joseph Vadé (La Pipe cassée), d’Aristide Bruand, de Gaston Couté (La Chanson d’un gars qu’a mal tourné), de Jean Richepin (La Chanson des gueux) et de Jehan-Rictus (Les Soliloques du pauvre). Avec Ceux du trimard, Marc Stéphane invente une langue personnelle dont on n’a pas d’équivalent. Elle est goûteuse, déliée et vigoureuse. On la devine issue des pérégrinations du voyageur qui a retenu la « parlure délictable » du Languedoc, les patois de Cévennes ou des Flandres et, les mêlant, en a fait sa matière première qu’il a mis dans la bouche de son personnage Batisse, type du trimardeur inoubliable et vrai. « Ah ! ça, mais, Pape-diable ! va-t-il falloir que je m’en mêle ? (…) On entendait, ce dis-je, les « bougri de carogna de pute » aveyronnais de ce brave Popinet qui rageait tout son chien de saoul et se donnait à chaque pied arrière à tous les diables de l’enfer. »
Son livre suivant, Sirènes de Cambrouse et Margots des bois (1931) participe de cette veine. Et si l’on y joint son Épopée camisarde dont des fragments posthumes paraîtront dans Les Livrets du Mandarin de René-Louis Doyon (1960), on tient là l’essentiel d’une oeuvre dont la langue paraissait à Henry Poulaille « d’une verdeur splendide qui n’a pas encore fini de nous tenir en haleine ». Sauf que les « spécialistes » de la littérature prolétarienne Ragon et Maricourt n’ont pas cru bon de s’y attarder. Comme le typographe Marmouset, on l’a oublié. Mais Stéphane avait confié : « me rassure aussitôt mon fidèle Batisse qui a, par contre, une inébranlable confiance en la résurrection dans le ciel littéraire, de l’étoile de compagnon si étrangement occultée pour le moment. » À la fin de sa vie – il meurt le 6 mars 1944 à Saint-Rémy-les-Landes où l’a chassé l’occupant dont le Mur de l’Atlantique côtoye de trop près la maison de ses vieux jours – Marc Stéphane avait viré au philosophe extralucide noircissant inlassablement ses feuillets de divagations mystagogiques. Un petit prophète avait remplacé la belle musique de Batisse, et Batisse fatigué s’était laissé faire. L’homme en rupture de ban, sans égard pour les conventions, le poète de l’errance et de la liberté périlleuse avait cessé d’appartenir à la poussiéreuse cohorte des derniers trimardeurs.

Marc Stéphane, pamphlétaire rural Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°35 , août 2001.