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Poésie À fleur de peau

janvier 2003 | Le Matricule des Anges n°42 | par Richard Blin

Pour Claude Roy il était le Leopardi du trottoir, un Ecclésiaste mal élevé, plein de mots-crasse. Queneau avait imposé son premier recueil, Homo Sum, que l’on republie. William Cliff, un poète à part.

Écrasez-le (suivi de) Homo sum

À ceux qui ne lisent pas la poésie sous prétexte qu’il n’y a rien à comprendre -et c’est un préjugé encore très répandu-, il faut conseiller la lecture de William Cliff. Comme son nom ne l’indique pas, c’est un poète belge né en 1940, qui, rejetant tout masque, fait de sa façon d’être et de vivre la matière du poème. S’avançant sous les traits du Je le plus concret, il dit sa vérité d’homme, sans rien cacher de ses propres limites, de ses perversions ni de ses faiblesses. Adepte du parler vrai, il revendique un langage simple et direct. Ni symbole ni parabole, ni illumination ni démiurgie, ni formalisme ni pièces d’anthologie, mais l’évocation du plus urgent, du plus réel, du plus brutal : manger, dormir, boire, désirer. Il le dit sans détours et dans ce langage de tous les jours qui est l’apanage de ses « frères humains », ceux que, déjà, Villon et Rutebeuf avaient croisés sur leurs chemins.
Publiés respectivement en 1973 et 1976, Homo sum et Écrasez-le possèdent d’emblée le ton de tous les recueils qui vont suivre, depuis Marcher au charbon jusqu’à Adieu Patries en passant par America, En Orient, Autobiographie, Fête nationale, et Journal d’un innocent.
Une poésie qui racle l’âme, faite d’expériences sensibles, d’épreuves et de circonstances très ponctuelles. La poésie d’un homme qui rythme sa vie en vers à l’allure souvent désabusée. « L’alexandrin je le pratique comme on gratte/ dans son nez pour s’occuper ; le temps est bien froid/ cet hiver, ma barbe est longue, mes cheveux gras ;/où irai-je ce soir balancer mes savates/ pour écraser l’angoisse qui s’obstine en moi ? »
L’espoir, la détresse ; la beauté, la laideur ; la rencontre, la solitude, l’ivresse du rien. Un monde où le sourire est rare, où, armé de ses seuls sens, un homme tente plus souvent de survivre que de vivre. Parce qu’il a fait le choix d’une certaine marginalité, parce qu’il préfère le provisoire au définitif, le nomadisme à l’embourgeoisement, le souci de l’autre à la famille. Parce qu’il est homosexuel, l’assume et le revendique. « Mes frères étaient cancres et moi tout autant :/ l’école chrétienne nous étouffait,/ nous préférions dans le noir nous tirer/ la queue, nous faire traire comme vache ;/ le sexe prend son chemin comme il peut/ entre des temps de messe et de cravache. »
Dans un monde qui se donne à sentir, à goûter, à regarder, à toucher, le corps lui aussi réclame. D’où la course au plaisir, les errances du mouvement désirant -celui qui livre au hasard des corps, mène parfois au « grenier bien mal garni » et au matelas crasseux. William Cliff dit les macérations du manque, l’assouvissement plus ou moins brutal ou furtif du désir, toutes les chimères de la chair, le corps rêvé, inaccessible, « ange incroyablement surgi/ du sol bizarre et lourd de la Belgique », ou dieu : « C’est un garçon en blue-jean qui célèbre la messe (…)/ sait-il/ tous les désirs et tous les désespoirs, les nostalgies/ qu’on accroche sur son corps d’adolescent très pur et chaste ? »
Désirs et désillusions. La poésie cliffienne naît de l’abîme qui se creuse entre l’imagerie de l’amour et la réalité. Aucune vie « ne veut se confondre à la nôtre :/ c’est en vain qu’on se jette dans le pas des autres ». À la grâce toujours espérée, au rêve toujours déçu, succède une solitude comme redoublée, que seule l’écriture peut compenser. « Je désirais certaines choses de tout mon être et jamais je ne rencontrais une moindre parcelle de satisfaction. Alors j’ai écrit ce texte ».
Rêvant du plus parfait dépouillement (ni nom, ni âge, ni adresse…) -« Tu veux savoir mes coordonnées/ le nombre exact de mes années, (…), il vaudrait mieux/ montrer au fond ce que nous sommes/ la vérité de son poids d’homme//(…) car je veux plonger aux bourrasques/ horribles du partage à deux/ absolument dépouillé d’eux/ nu débarrassé de leurs loques/ de leurs bicoques et leurs défroques/ dont ils se couvrent honteusement/ pour camoufler la crudité de leur néant »-, William Cliff rend au plus trivial sa force et cette sourde beauté qui passe par l’ironie, la désinvolture et la parodie. « La séance dura ce que durent les roses :/ l’espace d’un crachat ; mais au moins on s’était/ oubliés l’un dans l’autre… et la force des choses/ nous avait ramenés à ce qu’on était. »
Et si le ton est souvent désenchanté, la musique est celle d’une chair vêtue d’âme, une chair qui sait les légendes noires de l’amour, la nudité aromale du désir et le simple bonheur d’être en vie.

Écrasez-le
précédé de Homo sum
William Cliff
Gallimard
235 pages, 19

À fleur de peau Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°42 , janvier 2003.
LMDA PDF n°42
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