Le Cahier dessiné N°2
Piochons au hasard des pages. Il y a là une chambre avec un matelas au milieu, croquis de Stendhal daté de 1825 ; sur les parois de la grotte de Lascaux, on perçoit notamment un taureau, un oiseau, un homme (quatre doigts à la main gauche, trois doigts et un objet oblong à la main droite -pourquoi ?) ; plus près de nous, ce sont les réclames de l’illustre Savignac (dont on connaît moins les affiches qu’il fit pour L’Argent ou Lancelot du Lac de Robert Bresson), les histoires sans paroles du Belge Robert Willems (intime des surréalistes et du nonsense), ou encore les décors désertés du très méconnu Marcel Bascoulard (intime de presque personne dans Bourges où il aimait à s’habiller en femme). Le lien entre tous ces noms propres -sans omettre l’Anonyme préhistorique-, c’est bien sûr le dessin, sur lequel cette revue semestrielle, dirigée par Frédéric Pajak, poursuit son « enquête », comme l’annonce la quatrième de couverture. Il faut alors souligner à quel point ce large et épais volume donne envie, au lecteur même qui ignore l’ABC du gribouillage, d’approcher respectueusement les arcanes de cet art : l’ampleur des reproductions et la sobre élégance de la mise en page constituent en ce sens un véritable plaisir pour l’œil.
Qui plus est, à pénétrer plus avant dans Le Cahier dessiné, il apparaît très vite que ces qualités d’élégance se retrouvent à l’identique dans les textes qui viennent éclairer ou simplement accompagner les dessins. Nul tapage ici : il ne s’agit pas d’occuper bruyamment le terrain de la modernité et d’assommer par de pesantes exégèses, pas plus que de faire étalage de technique. Discrètement, avec humour ou émotion, les différentes contributions s’appliquent plutôt à défendre une certaine forme de représentation de l’homme et du monde, une manière faite de mémoire comme de liberté. « Le dessin est le complice des usures, des amoindrissements, des érosions, des désagrégations, des morcellements, des écroulements, des affaissements, des fatigues, des lassitudes, des vacillements, des tremblements, des amnésies, des imprécisions, du flou, des incertitudes et du vieillissement », écrit ici Christophe Gallaz. On a d’autant moins de peine à le croire qu’un peu plus loin dans la revue, une magnifique galerie de portraits semble lui donner raison.En 1999, Daniel Franck s’est rendu quotidiennement dans une institution de personnes âgées : le visage des « petits vieux », tel qu’il le donne à voir et tel qu’il est ici reproduit sur plus de vingt-quatre pages, offre un formidable antidote à l’obscénité de certaines images. À Daniel Franck, alors, le beau mot de la fin : « Je crois que le dessin est ce que nous portons en nous, cette capacité de création que l’on perd avec l’âge. Aujourd’hui, il y a moins d’art que de culture autour de l’art. Le dessin, quant à lui, reste un art désintéressé ».
Le Cahier dessiné N°2
Buchet Chastel
192 pages, 26 €