Elles sont un peu bêtes ces émotions qui restent quand vos yeux s’attardent infiniment sur la dernière phrase d’un roman. L’ultime parole de Mimizan-plage est une question : « Tu m’aimes encore ? » Ça fait terriblement fleur bleue d’être ému par un petit bouquin qui se lit le temps d’un apéro, en terrasse, quand les enfants jouent et que les martinets dans le ciel dessinent la carte de leur prochain voyage. On reste là, penaud, ébranlé par un auteur dont on devine qu’il vient de signer sa naissance d’écrivain -paraphant d’un roman les nouvelles publiées en revues et aux éditions de La Dragonne (Mon grand-père était cow-boy, 2000).
Mimizan-plage s’apparente à un récit de vacances à la François de Cornière (Boulevard de l’océan, 1990) : le temps estival partagé entre la plage et les petits commerces. C’est dans les Landes chères à Éric Holder, avec lequel l’écriture de Daniel Labedan fraternise, que le narrateur et sa compagne s’impatientent de partir. En un paragraphe inaugural qui s’ouvre sur le désenchantement de vivre et se conclut joliment par la promesse de « banana split ou de pêches Melba », Daniel Labedan dessine les contours du livre. Nous serons partagés entre la gravité et la légèreté, bercés par cette nonchalance désabusée et tendre.
Cap au Sud donc, vers ces longues plages de sable qui absorbent la violence de l’océan. Gardons cette image : la violence contenue, c’est l’histoire de notre narrateur. Mimizan n’est pas seulement une destination de vacances. Il y a vécu ses vingt-trois premières années. Et c’est là qu’un jour de lycée, ses parents trouvèrent brutalement la mort dans un accident de la route.
Le roman alterne le présent léger des vacances et les souvenirs meurtris de l’adolescence dans un même ton, comme détaché, humble autant que pudique : celui qui se confesse avoue d’emblée que « chaque premier jour de plage, (il) éprouve de la gêne à se balader en slip devant (s)es contemporains. » On reste alors dans un bonheur teinté d’ombre. Le bonheur du soleil qui joue sur les jambes de la compagne : « je te laisse passer devant pour (…) te voir pédaler lentement, sur ton beau vélo à vingt et une vitesses indexées » et l’ombre des parents disparus trop tôt qui ont laissé un fils désemparé. C’est d’une terre aussi qu’il est question et l’auteur diagnostique pour Mimizan une schizophrénie qui s’attache aussi à lui. Les premiers temps, l’adolescent se noie dans une vie désordonnée où l’affectif tient lieu de fuite : il n’a pas encore pris exemple sur les plages pour absorber la violence de la vie, de la mort.
Daniel Labedan est un écrivain du regard et du détail : pour dire l’insouciance des vacanciers, il montre « un père à quatre pattes qui pousse un camion miniature jaune sur le sable, avec sur son dos un petit cavalier suceur de tétine. » Sur la plage, les familles ont des « comportements si naturels qu’on pourrait les croire seules » et les poissons pris dans les petits lacs du ressac abandonnent « derrière eux des éclats d’argent. » Cette innocence face au monde vient-elle du temps où « mes chagrins étaient minuscules. Une bise de ma mère suffisait à les effacer » ? Vous connaissez la dernière phrase du livre, vous devinez la fragilité de ce bonheur. Dans le roman, on croise un orage et des avions de guerre, un noyé. Et, aussi une phrase, esseulée sur une page : « Pourquoi donc n’avais-je pas été dans la voiture, moi aussi ? » La grâce est fragile.
Mimizan-plage
Daniel Labedan
La Table ronde
92 pages, 15 €
Domaine français Les parents vacants
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Thierry Guichard
Dans un récit peint en touches légères, Daniel Labedan nous fait frôler des gouffres et des bonheurs simples, le cœur entre systole et diastole.
Un livre
Les parents vacants
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.