Marie-Sophie Vermot ne fait pas dans la dentelle lorsqu’elle aborde la difficile question des secrets de famille et de leur transmission. Dans un espace-temps restreint qui permet à l’auteur d’entrer dans le vif du sujet, elle met immédiatement en lumière les figures principales de son roman : Basile Solignac dit Gramp, un vieux paysan et son petit-fils Harold. Dans une partie serrée, à partir d’une conversation entre Gramp et son petit-fils, Marie-Sophie Vermot distille une tension sans cesse grandissante jusque dans la nature du texte, dans une écriture qui introduit les silences et les tournures populaires et qui donnent à ce texte un rythme lent et un lyrisme parcimonieux. Cette tension permet de faire tomber les masques des personnages que l’on découvre grotesques, navrants, profondément humains dont Gramp est la figure centrale. Vieillard bougon et autoritaire, fils naturel de Jean Gabin, verbe acerbe à l’appui, Gramp est à l’image de sa terre, pierreuse et sèche mais qui donne le fruit, une âme généreuse, sensible à la vie, à la liberté aussi. Face à lui, son petit-fils Harold qu’il a élevé depuis la mort accidentelle de ses parents. Un petit-fils ambitieux qui ne prendra pas sa succession à la ferme puisque sur le départ pour un stage d’architecture à l’étranger, chez son oncle d’Amérique. C’est le temps de la séparation, le moment où vont se jouer les grandes scènes de vérité, celui que choisit Marie-Sophie Vermot pour décrire une inévitable rupture. « Les non-dits ont toujours collé à (l)a famille. Quand les membres de la lignée meurent ou disparaissent, on emplit les vides qu’ils ont laissés de silence. C’est la politique maison. » Des silences et des zones d’ombre chères au grand-père, un ancien résistant mais que le jeune homme entend mettre en lumière au plus vite avant son départ le jour même. La démarche d’Harold paraît légitime et salutaire mais soulève des questions fondamentales : tous les secrets de famille sont-ils avouables ? Qui porte la responsabilité des aveux ? Le pardon est-il possible ?
Dans ce roman, les secrets sont des lieux de mémoire cachés dans une boîte de Pandore que Marie-Sophie Vermot décide d’ouvrir sur un terrain meuble fait de jeux d’ombres et de lumière, ceux de la complexité et des contradictions de ses personnages. Elle choisit de confier au personnage de Gramp le soin de divulguer les drames incriminant des membres de la famille. Mais le ton devient haineux et la confidence a des accents de vengeance. Pour Harold, cette lumière jaillissante met en péril ses intérêts personnels ; il se refuse à y voir plus clair et perpétue, contre toute attente, le silence des lourds secrets de sa famille. Un effet boomerang pour le grand-père, un échec de la transmission cinglant qui sonne le glas du vieux passeur de mémoire.
Voilà pourquoi les vieillards sourient est un roman familial dramatique où l’auteur excelle dans le rendu des émotions qui expriment les fonds de l’âme de chacun des personnages et dépasse la tragique exhibition des blessures psychiques.
Voilà pourquoi les vieillards sourient
Marie-Sophie Vermot
Le Rouergue
139 pages, 8 €
Jeunesse Les ombres familiales
mai 2003 | Le Matricule des Anges n°44
| par
Malika Debaa
À travers un face à face sans fard entre un grand-père et son petit-fils, Marie-Sophie Vermot interroge la part de secret de ce qui se transmet entre générations.
Un livre
Les ombres familiales
Par
Malika Debaa
Le Matricule des Anges n°44
, mai 2003.