Intitulée « Une place ouverte », la première partie de Des tâches et des instruments est une bonne manière de planter le décor : un récit n’est que la possibilité d’un récit, une enquête policière ne débouche sur rien, tout s’ouvre en permanence.
On pense à Emmanuel Hocquard, bien sûr, dans cette manière de mener l’enquête dans le langage, en essayant des décalages, des suspensions, déconnexions, propositions de sens très ouvertes, tache blanche. Un privé peut en cacher un autre : « Pense à la déception de l’enquêteur découvrant qu’il n’y a ni coupable ni crime ». S’il y a de la verdure dans le décor à un moment, il s’agit plutôt des rouleaux d’une pelouse artificielle posés en tas, attendant qu’on les étale sur la terre. S’il y a des éléments à prendre en compte dans la lecture, voyons-les plutôt comme les rouleaux d’une histoire à dérouler soi-même sur un territoire vacant, un peu flottant, sachant que pour soi-même les scénarios ne sont jamais très stables, nos vies s’il fallait les transformer en énoncés, et pas l’inverse, feraient un récit problématique, aléatoire : « Il n’y a jamais rien de définitif alors ? C’est cela Docteur Ryan vous comprenez, nous cherchons des faits et non des choses. D’avantage d’aventure ? Un hasard sans substance ? Des accidents ? »
La place est vraiment très ouverte, ce qui signifie prendre la place de ce qu’on serait en droit d’attendre à la place, céder sa place, ne tenant pas en place, déplacements, remplacements. Place vide ? C’est à voir et la deuxième partie s’appelle « Des cliches brillants », sorte de mélange entre photographies de vacances et roman d’espionnage, contamination et décontamination d’un matériau fictionnel. « Des personnages apparaissent, leurs noms », cette première phrase dit bien le fonctionnement du texte, qui consiste à déplacer sa fiction vers la fiction qu’il y a dans la langue elle-même. C’est parfois un peu démonstratif, voire un brin didactique et appliqué. Il y a heureusement dans les glissements (de sens), des sensations fortes, même au plus lisse et on se retrouve « skieur nautique glissant sans embûche sur l’eau lisse du lac », par exemple.
Reste la dernière partie, plus problématique, plus ambitieuse aussi, « Des tâches entassées ». Sur un mode plus abstrait, il ne s’agit plus que de décrire une mécanique, la nôtre, dans une sorte de rapport clinique très distancié, avec des généralités volontairement sentencieuses, comme vues de très haut, mais avec une lucidité qui transforme notre langue quotidienne en un idiome vaguement étranger. Autour du mot « tâche », qui réellement fait tache (plus ou moins blanche) dans le texte, se construit une sorte de guide d’utilisation, qui vaudrait pour l’écriture elle-même autant que pour nos vies : description aveuglante en ce qu’elle ne fait pas dans les détails, effaçant les visages et les particularités, systématisant.
Dans le retour de ce mot, cette insistance, quelque chose en lui se creuse, s’efface, qui fait place nette, place vide à traverser. Comme détaché de l’asservissement au travail, libéré de l’effet du mot « tâche » à la fin ? Vacances, j’oublie tout…
Des tÂches & des instruments
Éric Giraud
Le Bleu du ciel
110 pages, 13 €
Poésie Détachements
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Xavier Person
Faire du ski nautique dans une phrase. Effacer une place vide ou une tache (tâche). On est comme en vacances dans la poésie d’Éric Giraud.
Un livre
Détachements
Par
Xavier Person
Le Matricule des Anges n°45
, juillet 2003.