Porte-parole d’un peuple et d’un pays sacrifié -après la colonisation, les massacres, le dépeçage du territoire, ce furent les expérimentations atomiques menées par la France au Sahara de 1960 à 1967 (avec l’accord de l’Algérie indépendante)- Hawad écrit au nom de tous ceux qu’on immole sur l’autel de la civilisation et du progrès. « Il est reconnu qu’un peuple civilisé peut légitimement écraser, fouler les peuplades sauvages ou simplement barbares qui se trouvent sur le passage du progrès. C’est même un devoir d’humanité que de leur porter les bienfaits de la civilisation ; la fin justifie les moyens et si les balles ordinaires ne tuent pas assez vite et assez complètement dans l’exécution de cette œuvre, il est permis d’employer les balles dum dum… » (Colonel Robin, L’Insurrection de la Grande Kabylie, 1901 -citation mise en exergue de Sahara visions atomiques)
Voix venue du désert pour marteler à l’infini l’écho des souffrances et des violences subies, Hawad n’a que ses mots pour faire barrage au néant par où fuit la vie, pour faire pendant aux mutilations, au viol des âmes, à l’insensé. Une poésie saturée d’émotions, engorgée de frustration, de haine et d’indignation. C’est exacerbé, convulsif, intense, véhément. « Découpés, transpercés, traînés/ sillons de plaies (…)/ et comme hier, nous nous levons/ et de toute notre hauteur/ nous nous redressons/ sur la nuque enflée du néant (…)/ Nous lézards/ grouillant et zigzaguant,/ nous nous redressons et tombons/ et à nouveau debout et encore brisés,/ nous sautons/ au-dessus des lance-flammes/ et piétinons remâchons écumons/ et rongeons les chaînes et les barbelés ».
Violence, rage, à vif de la chair meurtrie, la douleur fulgure, les pages saignent de l’éprouvé du malheur. Véritable martyrologie d’un peuple, ces pages font songer à Jérôme Bosch, au théâtre de la cruauté d’un Antonin Artaud faisant du corps la scène où « faire danser des paupières couple à couple avec des coudes, des rotules, des fémurs et des orteils ».
Deux conceptions du monde et de l’homme, aussi répulsives l’une à l’autre que le profane et le sacré, s’opposent ainsi sur la scène de chaque page, à travers l’extrême tension d’une voix cherchant à conjurer l’innommable tout autant qu’à le stigmatiser et le représenter. Pour tenter d’effacer les séquelles, pour échapper au chaos et au non-sens, Hawad, dans Sahara visions atomiques, utilise une méthode thérapeutique touarègue de détournement de la douleur (ainsi que l’explique Hélène Claudot-Hawad dans son introduction). « Par la répétition frénétique des mots, des sons et des images ressassés, amalgamés, pétris et transformés au rythme vertigineux et obsessionnel de la transe », (« et le désert devient chamelle/ aux articulations dévissées,/ le désert blatère/ et galope en tous sens,/ les combattants enfourchent / les ombres éoliennes des chevaux, alphabet en rage de leur mythes ») les visions de cauchemar qui hantent la mémoire touarègue trouvent issue et délivrance.
Noces noires d’une gestuelle et de signes portés au rouge, fureur réparatrice d’une écriture mêlant les voix du scribe et de l’oracle à l’écho de l’envers, l’essor victorieux du tourbillon a des effets cathartiques. Face au tragique d’un malheur immérité, Hawad dresse la contre-terreur de ses mots. « Notre unique souci/ n’est pas d’être intégré/ à un horizon,/ mais de demeurer la terreur latente/ qui désintègre l’horizon (…). Nous, nous refusons/ le respect et la trêve/ à toute frontière,/ et n’accordons le droit d’exister/ à aucun État ». Confronté à la persistance d’un destin qui ne cesse de se re-présenter à lui, Hawad lui oppose sa poésie d’éclairs et de résistance, ainsi que la « furigraphie » de ses encres ou celle de ses dessins qui, en une sorte d’écriture archaïque où dominent l’ocre, le gris et le sable, accompagnent de leur belle et énigmatique syntaxe, la révolte de ce « fils du chameau », de ce « voleur d’horizons » debout sur la crinière en flammes de sa détresse.
Hawad
Sahara visions atomiques
Éd. Paris-Méditerranée
135 pages, 12 €
Détournement d’horizon
Traduits du touareg (tamajaght)
par l’auteur et Hélène Claudot-Hawad
Avec huit dessins de l’auteur
Éd. Grèges - n.p., 15 €
Poésie L’éclair à mains nues
juillet 2003 | Le Matricule des Anges n°45
| par
Richard Blin
Dressée, insurgée, absolue, la poésie-défi d’un effaceur de frontières, « voleur d’horizons » : Hawad, le Touareg. Ses pages saignent de l’éprouvé du malheur.
Des livres
L’éclair à mains nues
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°45
, juillet 2003.