Mourir le soir du Shabbat pour un croyant peut être considéré comme un pied de nez au destin, amener quelque chose d’incongru, une non-mort, un glissement dans un monde parallèle. Parallèle à la vie, parallèle à la mort ? Presque une définition de la littérature. Toujours est-il que Virginie Reisz a choisi de faire réapparaître cet homme, mort un jour de fête, où il ne sied pas de porter le deuil, dans un premier livre. Et l’ouvrage surprend. D’abord par son très petit format, ensuite par son intensité. Il n’y a là pas un mot de trop, presque de l’essence de texte, plus un chant d’amour qu’un travail de deuil. En deux parties, l’évocation d’une vie faite de persécutions, de fuites, d’errances d’un être d’origine tchécoslovaque, qui aura toutes ses dents brisées à 25 ans. « On m’a chassé deux fois, dit mon père. ’’Dehors, Juif !’’d’abord, puis ’’Dehors, capitaliste !’’ ». Seront consignés aussi les jours heureux où il semblait exceller dans son rôle de père, sa tendresse, ses discours, sa ferveur religieuse. La deuxième partie décrira le délitement d’une vie, d’un foyer, liés à la mort de sa femme, puis à la maladie. Tout le talent de Virginie Reisz réside dans le halo lumineux dont elle nimbe son père et les élans de joie, fugaces, qui lèvent une poussière d’or, extrêmement légère, extrêmement vivante animant tout l’ouvrage.
Née en 1970 d’un père relativement âgé « qui m’a donné la vie dans sa propre survie » et d’une mère, plus jeune, peu évoquée, morte très tôt, elle avoue « Mon père de son vivant transportait une absence et l’écriture pour moi c’est apprivoiser la vie avec son absence ». Elle dira plus loin, d’une voix douce, juvénile, tendue que la seule légitimité qu’elle ait, elle la doit à l’écriture. Cette relation, elle la nouera très tôt, à 12 ans, après une enfance en apparence heureuse mais relativement lourde et « véhiculant des destins difficiles » et ce en lisant Sénèque et son De la tranquillité de l’âme. Texte fondateur qu’elle qualifie toujours de magique, d’intemporel et « qui compare la nervosité angoissée à de l’insomnie et révèle qu’à l’instar de l’insomniaque, l’homme intranquille cherche dans la vie des choses lui permettant de se détourner de son angoisse. » À 19 ans, la mort de la mère provoque un effondrement total et induit une relation encore plus intense au père, celle « d’un aveugle et d’un paralytique ». Des études de Lettres supérieures abandonnées, elle s’explique : « Il y avait quelque chose vécu comme un carcan. J’avais l’impression que si je continuais les études, je ne pourrais plus créer. » À 27 ans, elle perd son père, part en Israël, devient pigiste au Jerusalem Post. « Moi, je n’ai pas la force religieuse de mon père, j’aimerais bien avoir la croyance, ça m’aiderait, mais je ne l’ai pas. » Du déracinement, voire de l’exil, Virginie Reisz affirme qu’il peut être réducteur de faire des juifs, uniquement des victimes, « qu’il y a aussi quelque chose de choisi là-dedans. Une certaine culture de l’impossible, de la route, de l’itinérance. »
Six ans et six mois que le père est mort et elle publie Vole vole papillon après avoir reçu une multitude de refus concernant d’autres textes. Elle pense vouer à son éditeur Joëlle Losfeld une gratitude infinie, s’étonne « que dans le milieu professionnel, il y ait une reconnaissance par rapport au texte, spontanée et vraie. Je ne m’attendais pas à ça. Je suis très touchée qu’il y ait des gens qui aient cette générosité, je parle des libraires, des critiques, etc… » Au chapitre des joies, elle affirme que la vie porte aussi cette merveilleuse légèreté qui donne l’impression que tout devient cadeau. Ses joies, ce seront donc les rencontres, là où l’humain essaye de construire des choses avec d’autres. Ses colères ; la mesquinerie et le manque de respect. « Considérer qu’une relation est acquise et arrêter de faire des efforts, ça me fait voir rouge, ça me rend hystérique. » Ses révoltes, elle dit ne pas en avoir ou peut-être par rapport à cet ami en train de mourir. « Ma révolte est pratiquement jugulée immédiatement parce que je me dis qu’il faut s’incliner. Je pense qu’au cœur de l’écriture et au cœur de la vie, il y a une leçon d’humilité très forte. » Elle n’émet donc aucune critique par rapport au monde parce que ça implique une certaine prétention. Elle avoue seulement que pour les âmes sensibles le monde va trop vite et développe trop de superficialité. Même critique pour le monde de la littérature : « Il y a toute une représentation liée aujourd’hui à l’écriture, qui pour moi, est à l’opposé du travail d’écriture, qui est très solitaire. Je souhaite que ceux qui me lisent me considèrent comme un écrivain et non comme une jeune femme qui veut passer à la télé. » Bonne chance.
Vole vole
papillon
Virginie Reisz
Joëlle Losfeld
58 pages, 5,50 €
Zoom Des ailes si fragiles
octobre 2003 | Le Matricule des Anges n°47
| par
Dominique Aussenac
En évoquant l’absence fantomatique du père, Virginie Reisz, 33 ans, offre un premier texte lumineux, sensible et grave.
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Des ailes si fragiles
Par
Dominique Aussenac
Le Matricule des Anges n°47
, octobre 2003.