Ainsi que l’indique le titre de cette collection, il s’agit bien ici de « penser le théâtre » : Catherine Naugrette, universitaire, ne démérite en rien de cette haute ambition et nous propose un essai pénétrant et riche. Cette lecture exige parfois une attention redoublée, tant cette pérégrination sur la scène contemporaine se double de références philosophiques (Arendt, Agamben, Rosset) nombreuses mais convaincantes. Le postulat est le suivant : le théâtre contemporain, loin de tourner le dos à l’horreur de notre temps à la fois victime et bourreau, « la plaie et le couteau » de l’Histoire l’affronterait avec courage. « Affronté au dur devoir de dire l’impensable passé en même temps que de penser l’impensé nouveau », le théâtre tente de maîtriser « le pouvoir de faire rire, celui de représenter et de donner sens au monde, au chaos, le pouvoir de mettre en scène la vie et la mort, enfin celui d’éveiller le sens de l’humain. » Ce parcours nous ramène alors aux grands aînés : Brecht et Beckett surtout, chez qui elle analyse la place du « rire tragique », d’un humour « né du pire ». C’est cette ironie « capillaire » qu’elle retrouve ensuite chez Vinaver tout comme elle analyse chez Heiner Müller un travail de déconstruction-reconstruction, de « stylisation » du réel, qui reprendrait « l’essoufflement » beckettien. Elle s’intéresse également à l’entreprise de Claude Régy, tentant de donner sa place au silence, au vide et à Bond (voir Lmda N°49) usant du choc et de la violence pour obtenir une nouvelle catharsis, « panique » face à l’inhumain qui nous cerne.
Il reste à savoir ce pourrait être l’objectif d’un second ouvrage aussi passionnant si le public contemporain est disposé, ou non, à entendre ces œuvres.
Paysages dévastés de Catherine Naugrette
Éditions Circé, 172 pages, 17 €
Théâtre L’écriture du désastre
avril 2004 | Le Matricule des Anges n°52
| par
Jean Laurenti
Un livre
L’écriture du désastre
Par
Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°52
, avril 2004.