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Domaine étranger Brummel chez les Soviets

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Thierry Cecille

Dernier dandy de la révolution soviétique, Anatoli Marienhof nous offre un kaléidoscope d’« enfantaisies » au cœur du totalitarisme.

À intervalles irréguliers ressurgissent, de quelque trou noir de la censure soviétique, des chefs-d’œuvre oubliés, étoiles trop rapidement filantes. L’Homme rasé est de celles-là, et il faut remercier les éditions Circé et le traducteur-préfacier Henri Abril de nous permettre cette (re)découverte. Marienhof fut d’abord le complice du poète Essenine et son amant ? en tout cas ils le laissèrent penser, rejouant Verlaine-Rimbaud sur un air d’agit-prop… Poète « imaginiste », il voit dans la métaphore l’arme spirituelle par excellence, « la distance la plus courte à la vitesse maximale », capable « d’enfoncer l’écharde de l’image le plus profondément possible dans la paume perceptive du lecteur » mais il ne saurait être question de la mettre au service de quoi que ce soit, pas même des lendemains qui s’efforcent de chanter. Après Baudelaire et au même moment que Breton, il réitère : « La vie peut être morale ou immorale. L’art n’est jamais ni l’un ni l’autre. C’est là une antique vérité qu’il convient de rappeler en toute occasion. Un pieu que l’on ne cesse, depuis des siècles, d’affûter sur le crâne des imbéciles. » Mais si l’imbécile en question se fait appeler Staline, petit père des peuples ? S’éloignant peu à peu d’Essenine et de la poésie, Marienhof écrit entre 1926 et 1929 trois romans, dont cet Homme rasé qui ne put paraître, en 1930, qu’à Berlin. Il se fera ensuite, jusqu’à sa mort, d’une discrétion prudente, se contentant d’écrire des scénarios et de modestes pièces, que la censure guettait.
Nul doute que ce roman un autre terme serait sans doute plus juste : fantaisie ? conte noir et grotesque ? n’avait rien qui pût servir la cause de l’élan stalinien : au moment où Stakhanov devient l’Hercule de la construction du socialisme, notre narrateur-anti-héros, lui, se décide à pendre au cordon de la portière son « ami » Léo : « ce cordon se terminait par un gland très lourd, de la couleur d’un sparadrap, qui se colla aussitôt à sa mâchoire pour lui faire comme une barbe. Il ressemblait à un Assyrien. » Individu « souterrain », comme il en est tant chez Dostoïevski, affublé d’un nez ridicule comme chez Gogol, il décide, pour tenter d’expliquer son acte, de remonter le temps jusqu’au jour de son adolescence où lui apparut cette idole néfaste, adorée et haïe. Nous voici donc à Penza, bourgade provinciale étriquée et prétentieuse : ressuscitent la tenancière du bordel « avec ses sourcils tels les moustaches de Frédéric Nietzsche », le maréchal de la noblesse, « toujours gai comme un nombril », les latrines du collège où les adolescents se lancent d’absurdes défis « oh comme le Russe aime toutes les saletés, les cochonneries ! » Puis viennent la guerre, les éclats de shrapnels, « ravissants flocons de neige qui trouaient le ciel », les cadavres, le communisme de guerre, le premier « tchékiste ».
Il faut pourtant bien devenir adulte, accepter les responsabilités et les poses adéquates, et la « philosophie de porc » que tout cela exige. C’est qu’avec la Révolution, l’homme russe, en même temps qu’il a rasé « les favoris inspirés de Pouchkine » ou « la barbe patriarcale de Tolstoï » a rasé son « âme russe » : « nous sommes aujourd’hui les hommes les plus modernes sur terre » ; entre désespoir et cynisme, vodka et saucisson cuit, vivre n’importe pas plus que mourir. Marienhof peut avouer à la fin de sa courte et éclatante autobiographie, ici publiée à la suite du roman « Si je crois, c’est à l’huile de ricin » !

L’Homme rasé
Anatoli Marienhof
Traduit du russe par Henri Abril
Éditions Circé
(18, Grand-Rue
88120 Belval)
133 pages, 15,50

Brummel chez les Soviets Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.
LMDA PDF n°54
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