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Histoire littéraire En toutes lettres

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Didier Garcia

Coups de gueule et passions sur fond d’amitié : Durrell/Miller, une correspondance d’un demi-siècle entre deux éternels gamins.

Correspondance 1935-1980

Voici donc réunis au sein du même volume deux géants de la littérature mondiale. D’un côté Lawrence George Durrell (1912-1990), écrivain anglais auteur notamment de la tétralogie du Quatuor d’Alexandrie, de l’autre le « gamin de Brooklyn », son aîné de vingt et un ans, Henry Miller (1891-1980), écrivain américain aux romans sulfureux qui lui valurent d’être censuré (entre autres les Tropique du Cancer et Tropique du Capricorne, ainsi que sa trilogie La Crucifixion en rose).*
L’histoire de cette correspondance commence en 1959, lorsque l’éditeur anglais Faber and Faber formule le souhait de publier un ensemble de lettres. En 1963 (Durrell vient de rater le prix Nobel à trois voix près), un premier volume paraît, presque simultanément en Angleterre, aux États-Unis et en France ; il couvre alors la période 1935-1959. Il faudra attendre vingt-cinq ans pour qu’à Londres et New York soit donnée l’intégralité de cet échange épistolaire, cette fois jusqu’à la mort de Miller. La présente édition est la version la plus complète de cette correspondance, dans la mesure où se trouvent rétablis des passages que les éditions anglaise et américaine avaient supprimés ; malgré cela, plusieurs lettres se trouvent encore amputées, sans trop que l’on sache pour quelle raison. La principale qualité de ce florilège est de répartir ces lettres sur une quinzaine de périodes, ce qui permet au lecteur d’assister à la montée en puissance des deux écrivains (l’ascension de Durrell se faisant dix bonnes années après celle de Miller).
C’est au Tropique du Cancer que Miller et Durrell doivent de s’être rencontrés. La lecture du jeune Durrell, en 1935, se montre enthousiaste : « Pour moi, c’est sans conteste le seul ouvrage digne de l’homme dont ce siècle puisse se vanter ». Et quelques lignes plus loin d’ajouter : « Je salue en Tropique du Cancer le manuel de ma génération ». Rien d’étonnant donc à ce que les premiers échanges montrent un Miller en mentor, encouragé à cela par son jeune admirateur. Les conseils ne manquent jamais de pertinence : « Si vous tenez le coup et je crois que vous le pouvez, n’écrivez que ce qui vous fait envie. Il n’y a rien d’autre à faire, sauf si vous tenez à la célébrité. Comme de toute façon on vous pissera dessus, commencez donc à dire ce que vous avez à dire ». Le ton est donné. Il ne reste plus aux deux écrivains qu’à bâtir leur œuvre et, à l’occasion de leurs publications respectives, à s’adresser des lettres d’admiration. Ainsi Durrell : « Je suis éberlué de cet océan Pacifique qui coule goutte à goutte de votre stylo. La fertilité à l’état pur. L’énergie immensément productive. Lorsque vous avez écrit quelque chose sur un bout de papier, la feuille semble totalement épuisée » ; plus tard Miller : « Vous êtes le maître de la langue anglaise. De prodigieuses échappées, presque trop grandioses pour un livre ».
Dans cette Correspondance, la plume euphorique et grandiloquente de Miller répond à celle toujours prévenante et affectueuse de Durrell. On suit pas à pas leurs projets, leurs retrouvailles, leurs rêves (pour Miller s’installer non loin de la frontière du Tibet), leurs déboires amoureux, la naissance de leurs enfants, et leur manière bien à eux de passer au travers des mailles de l’histoire. Durrell est le premier à s’en étonner après la Seconde Guerre mondiale : « Je ne parviens pas à juger d’après vos écrits quelle impression vous a faite la guerre ; vous écrivez avec un détachement et une maîtrise qui dépassent tout ce que je serais capable de faire pendant des mois après la guerre » (il est vrai que Miller a profité de l’événement pour visiter les États-Unis de fond en comble au volant d’une vieille Buick !). Mais quinze ans plus tard, Durrell traverse d’autres événements avec le même détachement : « c’est merveilleux de pouvoir vivre dans un livre tandis que tout va mal autour de soi et que les couvre-feux tombent sur des villes mortes ».
L’épisode le plus savoureux de l’ensemble tourne autour de la parution en 1949 de Sexus, premier volume de la trilogie La Crucifixion en rose de Miller. Durrell ne cache pas sa déception : « On fait une grimace de dégoût et on détourne les yeux ». Après s’être ainsi laissé aller, Durrell craint la colère de Miller. Il n’en est rien : « Vous ne pensez pas qu’après tout ce que j’ai traversé, je m’écroulerais parce qu’un vieil ami n’aime pas ce que j’ai écrit, n’est-ce pas ? » Il ira même jusqu’à lui demander d’écrire un véritable éreintement, intelligent et documenté sur ce volume !
De la première lettre à la dernière, c’est savoureux, et le succès international qu’ils remportent tous deux ne gâche rien. Ce sont toujours des missives généreuses, imposantes, capables de courir sur plusieurs pages, et qui rappellent un peu celles de Flaubert lorsqu’il se laissait à fulminer contre la stupidité. Des lettres authentiques donc, dépourvues de tout faux-semblant, qui témoignent d’une amitié fidèle, et d’un accompagnement aussi bien littéraire qu’humain. Une correspondance qui ressemble à ce que fut leur vie.

Correspondance 1935-1980
Lawrence Durell/
Henry Miller
Traduit de l’anglais
par Bernard Willerval et Frédéric Jacques Temple
Buchet Chastel
792 pages, 34

* Pour une approche plus générale de sa vie, on se reportera à la biographie souvenirs de Frédéric Jacques Temple : Henry Miller (même éditeur, 252 p., 17 )

En toutes lettres Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.
LMDA PDF n°54
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