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Essais Éloge des sans-papiers

juin 2004 | Le Matricule des Anges n°54 | par Thierry Cecille

De Benjamin à Arendt, nous suivons les « figures de l’exil judéo-allemand » dans leurs traversées du siècle.

La Pensée dispersée

Figures de l'exil judéo-allemand
Editions Lignes/Léo Scheer

Kant avait rêvé, théorisé (Pour la paix perpétuelle, 1795), un droit « cosmopolitique », donnant à chaque homme, un « droit de visite », où qu’il aille, « droit qui revient à tout être humain de se proposer comme membre d’une société, en vertu du droit à la commune possession de la surface de la terre. » Le XXe siècle verra d’autres visiteurs, tragique diaspora, prendre les chemins de l’exil, sans papiers et sans patrie, « Weltlose », hommes-sans-monde : dans les années 30, 450 000 juifs de langue allemande, la S.D.N se croisant les bras puis, sous nos yeux lâches ou impuissants, des dizaines de milliers d’exilés économiques, à l’assaut des barbelés de la frontière mexicaine des États-Unis ou de ceux, invisibles mais non moins meurtriers, de la forteresse Schengen.
Autre cosmopolitisme donc : forcé, souvent dans l’effroi et le dénuement mais autre mondialisation aussi, celle de l’esprit, que veut décrire Enzo Traverso : celle qui naît d’un regard décalé, d’une « vie mutilée » (Adorno voir Lmda n°50), celle du permanent étranger, de l’outsider que la pensée philosophique, jadis, utilisait déjà (Montesquieu et ses Persans, Voltaire et son Ingénu). C’est de cette clairvoyance contre mais aussi à partir des périls, de cette volonté de résistance spirituelle que témoignent les cinq essais ici recueillis (publiés en revues ou ouvrages collectifs, entre 1996 et 2002). Enzo Traverso, penseur du totalitarisme, de ses origines comme de ses atrocités (L’Histoire déchirée, 1997, La Violence nazie, 2002), ne se présente pas, lui, comme un exilé mais comme un « expatrié » volontaire, Italien installé en France et écrivant en français, il peut cependant revendiquer avec ces « juifs non-juifs » une « empathie dans la distance » qui confère en effet à ces textes force et émotion.
Le premier essai est peut-être le plus original et le plus riche : sur les pas de Marx, de Baudelaire et de Benjamin, il brosse de manière vive et convaincante un tableau de la « bohème », jumelle antagoniste de la bourgeoisie triomphante, écartelée entre l’utopie et l’anarchie, le lumpenprolétariat et le dandysme. Nous croisons aussi bien Henry Murger que le Hussonet de L’Éducation sentimentale, nous retrouvons Marx dans ses taudis londoniens, ou Baudelaire « dépolitiqué » après l’échec ridicule des révolutionnaires de 1848 dont il fut un temps solidaire.
Benjamin, lui, Parisien forcé mais amoureux, suit à la trace les « flâneurs » dans ces « passages » qui seront le cœur de son œuvre testamentaire ; « l’homme des foules » de Poe y devient le Paysan de Paris d’Aragon et la Nadja de Breton elle-même, avant de sombrer dans la folie, apparaît ici comme un des symboles de cette bohème, parmi les « vagabonds de la modernité », les « gitans de l’esprit ». Nous retrouverons ensuite Benjamin en compagnie d’Adorno*, à travers leur correspondance « à minuit dans le siècle » : compagnonnage d’esprit qui n’alla pas sans heurt, malentendus et surtout déséquilibre. Enzo Traverso analyse en effet la « dépendance croissante » de Benjamin envers celui qui était pourtant son cadet et qui, à ce moment-là, n’avait encore guère écrit : Benjamin, isolé, sans contact avec les autres exilés allemands, tant à cause de prises de position antérieures que de sa profonde originalité intellectuelle, vit dans la misère, et seul l’Institut de recherches sociales, transféré à Genève puis à New York, dirigé par Horkheimer et Adorno, peut l’aider financièrement, et lui donner quelque audience. Curieusement, « il est frappant de constater le silence de cette correspondance sur les grands événements politiques de l’époque » qui les ont pourtant l’un et l’autre poussés à l’exil, et mèneront Benjamin au suicide. Ce n’est qu’avec Auschwitz qu’Adorno mesure réellement « l’autodestruction de la raison » alors à l’œuvre, et qu’il ne cessera ensuite de penser.
Il en va bien sûr tout autrement avec Hannah Arendt : c’est à l’épistolière que Traverso s’intéresse ici, dans un essai qui peut servir d’introduction à la lecture de ses recueils de lettres, fondamentaux pour la pensée et l’histoire du XXe siècle. Qu’elle s’adresse à Jaspers, Mary Mac Carthy, Hermann Broch, ou à son mari Heinrich Blücher (mettons à part le cas de sa correspondance avec Heidegger, où l’amour intervient, expliquant en partie son « attitude absolutoire » qui tient pour une fois sa lucidité en échec), elle ne cesse de penser politiquement, la politique étant « accomplissement de la vocation humaine dans le pluralisme de la cité, dans le souci du monde ». Traverso redonne enfin leurs dimensions respectives à deux figures attachantes : l’historien Kracauer et le romancier Roth. Si ce dernier semble depuis quelques année, grâce à Claudio Magris en particulier, sortir de son purgatoire (voir Lmda N° 50), il est à espérer qu’il en sera de même pour Kracauer et, par exemple, son Offenbach ou le secret du Second Empire (Le Promeneur, 1994), mêlant les thèmes de la bohème et du pouvoir.

La Pensée
dispersée

Enzo Traverso
Lignes/Léo Scheer
215 pages, 17

* Il faut signaler la parution importante de Mots de l’étranger et autres essais (Notes sur la littérature II) Traduction et notes de Lambert Barthélémy et Gilles Moutot Éditions de la Maison des sciences de l’homme.

Éloge des sans-papiers Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°54 , juin 2004.
LMDA PDF n°54
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