Court roman ou longue nouvelle, Le Nez sur la vitre fait partie de ces livres dont la sincérité convainc par une écriture tenue au plus juste, dans la pudeur des humbles. Un Algérien immigré en France depuis quelques décennies, s’est engagé dans un voyage en bus pour retrouver son fils qui ne répond plus à ses lettres. Ce périple lui rappelle celui qu’il fit avec son propre père tuberculeux du douar natal vers Alger et plus tard, le père mort, d’Algérie vers la France. Au paysage d’autoroutes et d’aires de repos, de l’autre côté de la vitre, répondent des images précises de l’Algérie pendant la guerre, des gâteaux au miel et des beignets chauds, des films d’Eddie Constantine. On remonte ainsi toute une vie, par touches successives à peine posées sur la page, dans une délicatesse de ton qui préfère le murmure au cri. Ainsi, évoquant la guerre, cette phrase : « Toute sa vie, il se souviendra que son père avait tremblé en tendant une carte d’identité sortie avec fébrilité du fond de son burnous » trouve-t-elle un écho quand, plus tard, le fils au collège provoque une convocation de la principale : « il se souvenait que devant elle il avait baissé la tête ».
Les héritages sont muets, parfois.
L’homme dans le bus porte une humanité silencieuse et inquiète, meurtrie du silence de ce fils aîné qui a laissé « un immense trou derrière lui. » Il observe les autres voyageurs, s’attache aux détails du trajet comme un croyant à son chapelet. On est dans un entre-deux : entre deux silences, entre deux pays, dans cet espace propice à se chercher. Dommage que la fin, abrupte, nous en expulse si vite.
Le Nez sur la vitre d’Abdelkader Djemaî
Le Seuil, 78 pages, 10 €
Domaine français Travelling arrière
octobre 2004 | Le Matricule des Anges n°57
| par
Thierry Guichard
Un livre
Travelling arrière
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°57
, octobre 2004.