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Domaine français Que sais-je ?

janvier 2005 | Le Matricule des Anges n°59 | par Thierry Cecille

Une fois de plus, Marie Ndiaye échappe aux genres fixés, à une fausse vérité trop hâtivement offerte. Elle nous entraîne sur un chemin qui lui est propre, et qu’elle semble frayer à mesure qu’elle écrit.

Autoportrait en vert

Le titre, énigmatique, délimite ici un territoire littéraire : il ne s’agira pas d’une autobiographie mais d’un autoportrait « en vert » : indication picturale ? ou bien faut-il, avec quelque malice, entendre « au vert », le récit débutant en effet dans un village, quelque part au bord de la Garonne ? On croit savoir Marie Ndiaye peu portée aux confidences, rétive, même, presque muette, face aux questions des quelques journalistes qui, la célébrité venant (le prix Femina pour Rosie Carpe, les pièces jouées à la Comédie Française) tentèrent d’approcher, si ce n’est le secret du moins l’intime de cette femme encore jeune, que les Éditions de Minuit ont courageusement défendue depuis déjà de longues années. Ce sera donc ici un autoportrait mais, pourrait-on dire, en profil perdu, avec un jeu de reflets complexes, plus proche du dispositif des Menines de Velazquez, avec la sorte de double mise en abyme qu’il met en scène, que d’un autoportrait, disons, à la Rembrandt. Il faudrait oser l’adjectif baroque pour dire le mobile, le flottant, le mouvant, le dédalique si l’écriture, elle, ne s’en tenait à cette sorte de pureté mate, de neutralité, de blancheur parfois aveuglante dont nous avons pu faire l’expérience dans ses autres œuvres.
Grossièrement car il faut bien tenter, avec précaution, d’y voir plus clair cet autoportrait prend la forme d’un journal : en ouverture et en clôture, nous sommes en décembre 2003 cela semble donc être le temps de l’écriture et la crue de la Garonne menace maison et routes de ce village où la narratrice s’est installée, avec ses « quatre enfants » et son compagnon « Jean-Yves ». Puis, en un désordre qui possède sa logique secrète, que nous ne devinerons que peu à peu et imparfaitement, nous la suivrons dans les années antérieures, les dates marquant des repères qui ne correspondent cependant pas toujours aux blancs du texte, dénué par ailleurs d’indication de chapitre ou partie, et où des photographies, elles-mêmes obscures énigmes, compliquent encore le dispositif. Au détour d’un paragraphe, et sans que, la plupart du temps, rien ne nous y ait préparés (il y a bien ici une esthétique de la rupture, du choc ténu, de la dissonance), nous changeons d’époque, et rencontrons alors ce qui ressortit cette fois-ci au pacte autobiographique la mère, le père, les sœurs, l’amie d’enfance de la narratrice. Le fil narratif, le leitmotiv plutôt (encore une fois au sens musical), c’est l’apparition, la disparition, la réapparition des diverses « femmes en vert » qu’elle croisa, qui entrèrent, en s’insinuant ou par effraction, dans son existence : majestueuses et fragiles, fantomatiques et sensuelles, maternelles et enfantines dont la Garonne elle-même (d’où la construction du livre) pourrait être, glisse-t-elle, « l’allégorie ».
Les biographes paresseux, ou en mal de documents, démarquent parfois les personnages des romans pour les réincarner dans l’existence de l’auteur, ils tentent, quoi qu’il en coûte, de trouver la véritable Bérénice d’Aurélien aux côtés d’Aragon ou le modèle de L’Amant. Ici c’est la tentation, le risque inverse mais ô combien plus riche et troublant qui nous guette : rencontrant le père ou la mère en leurs multiples réincarnations, improbables, entre le pathétique et le grotesque, ou bien les deux sœurs dans leur appartement de banlieue et leur vie grise, ou tous ces couples en proie au « désastre », nous basculons dans les romans et nouvelles de Marie Ndiaye, et oublions qu’il est censé être question ici du réel, vécu. Ici et là règne le même fantastique : comme chez Kafka mais sans intention symbolique nous nous retrouvons dans une sorte de réalité décalée, floue, comme en un bougé photographique. Nous sommes dans le quotidien un repas familial, une promenade en voiture avec les enfants assis sagement à l’arrière… et, brutalement, nous décrochons : cette femme, la voyons-nous vraiment ? est-elle une voisine, ou un fantôme ? La précision, maîtrisée mais sans ostentation, du lexique, la tenue de la phrase (aux variations subtiles, de l’oralité mimée à la période fortement structurée) nous mènent ainsi infailliblement, nous déplacent sans que nous y prenions garde. La question est donc ici comme dans ses autres textes non pas : que pouvons-nous raconter ? mais : que savons-nous de ce qui autour de nous vit, nous est offert ou se dissimule ? Si une « certitude limpide » est réservée aux enfants, pour nous, adultes, c’est souvent dans l’insignifiant que nous devons deviner le significatif. Comme en une sorte d’expérience phénoménologique, le récit suspend, un instant, dans le doute, dans l’entre-deux, le demi-jour, un fragment de la réalité : comme cette Garonne en crue dont on se demande si elle va déborder, à quel instant décisif le flot envahira les rives. Et c’est ainsi, alertés, dans la « perplexité », que nous pouvons ressentir la fatigue d’être, la mélancolie des espoirs défaits, les menaces de la violence et de la mort.

Autoportrait
en vert

Marie Ndiaye
Mercure de France
102 pages, 14
(en librairie
le 13 janvier)

Que sais-je ? Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°59 , janvier 2005.
LMDA papier n°59
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