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Zoom Détourner la mémoire vive

juillet 2005 | Le Matricule des Anges n°65 | par Lise Beninca

Le premier roman de Guy Tournaye, « Le Décodeur », se situe résolument dans un hors champ romanesque. Un texte auto-référentiel, à lire entre les lignes ou un miroir à la main.

Le Décodeur

Guy Tournaye qualifie le parcours qui fut le sien d’ « atypique, au regard du modèle français de l’écrivain-fonctionnaire »… Né en 1965 à Tours, étudiant en gestion à l’ESSEC, chargé de mission à la direction du développement de Canal+ puis au CSA, consultant en stratégie d’entreprise, il a démissionné après signature de son contrat chez Gallimard pour se consacrer entièrement à l’écriture. Lui qui assure n’être l’auteur d’aucun poème adolescent, laisse poindre à 35 ans le désir de s’attaquer à l’expérience autobiographique. Mais pas question de tomber dans les trois tendances romanesques dominantes, définies comme suit : la tendance nostalgique, « qui considère le roman comme une valeur refuge face à la perte des repères traditionnels » ; la tendance clinique, à la Houellebecq, « qui prétend radiographier, sur le mode dépressivo-nihiliste, le processus de décomposition aujourd’hui à l’œuvre » ; et la tendance prophétique, à la Dantec, « qui consiste à imaginer l’émergence d’une post-humanité sur les ruines de notre humanisme agonisant ». Ce triple refus accouche du Décodeur, roman à double entrée, « autobiographie sans je », enquête policière sur fond de site Web. Plus concrètement ?
L’ouvrage se présente comme la transcription (exacte, documentée, vérifiable) du contenu d’un site internet consacré à une série américaine, Street Hassle. Cette série, inspirée de faits réels, raconte les démêlés judiciaires d’un mafioso répondant au nom de Franck-le-Mat, soupçonné d’avoir assassiné sa maîtresse. Making of, vidéos des scènes clés de la série et forum de discussion qui propose aux visiteurs de mener l’enquête de façon interactive sont retranscrits de la façon la plus littérale possible. Simple information préalable : ce site a été fermé sur injonction du FBI, qui y aurait détecté des messages codés de terroristes. Au lecteur alors de choisir sa grille de lecture, à voir s’il saura distinguer la machination derrière les messages anodins ou sibyllins. Quoi qu’il fasse, il sera embarqué dans une enquête sur les circonstances de la mort de Veronica Di Pistoia, recevra une leçon sur la symbolique du Mat carte vagabonde, arcane majeur du tarot ou se délectera d’un extrait de la sulfureuse correspondance attribuée à George Sand et Musset, codée elle aussi. Les indices s’enchaînent, mais qui cherche la clé de l’énigme restera sur sa faim, voire subira un retour à la case départ, car tout n’est ici qu’ « un leurre destiné à piéger le spectateur avide de signification ».
Guy Tournaye nous mènerait-il en bateau ? Résolument, aux côtés du navigateur Lapérouse, dont Franck-le-Mat connaît la légende sur le bout des doigts… Encore une histoire dans l’histoire, encore un emprunt. Car la forme romanesque singulière inventée par Guy Tournaye cherche à faire émerger une nouvelle logique par la juxtaposition de matériaux composites. Ces matériaux s’avèrent être des fragments de textes piochés un peu partout (de Vigny à J.-J. Schuhl), dont il restituera les références en guise de générique final. Toute accusation future de plagiat est ainsi récusée, puisque la démarche se pose comme interne à l’ouvrage, sous couvert de la sentence de Montaigne : « Nous ne faisons que nous entregloser. » En répondant aux questions qu’on lui pose, il ne cesse d’ajouter : « je l’évoque page 87 » ; « voir la note page 78 ». Il s’entreglose lui-même et contrôle tout. « Procéder par prélèvements, détournements, abstractions successives, c’est se donner une chance d’échapper à la falsification générale. » En résulte un texte à multiples lectures, références entrecroisées, récits imbriqués, « tapisserie » aux motifs infinis. Guy Tournaye aime d’ailleurs à citer le Philippe Sollers de Vision à New York (depuis peu son éditeur) : « Je suis un tissage et une broderie vus d’ailleurs, écrits d’ailleurs. Me laisser écrire pour enfin ne pas être, telle est la forme ultime, et qui, par conséquent, ne peut ressembler à aucune autre, de ma liberté. » Le Décodeur est la broderie d’un homme cherchant à identifier les connexions implicites entre les éléments gravés dans sa « mémoire vive ». Il les combine entre eux « selon un processus de condensation et de déplacement semblable à celui des rêves ». Clin d’œil à Rousseau, la divagation rêveuse se place au cœur de la composition. Si Guy Tournaye utilise le procédé d’une navigation à travers un site web, c’est pour créer, sur le mode métaphorique, un texte à travers lequel le lecteur puisse voguer d’un document à l’autre comme dans un rêve. Loin de lui l’idée de sombrer dans la cyber-branchitude, le « maniérisme high-tech » auxquels s’adonne une génération d’écrivains. Le roman reste « un moyen privilégié de penser, de manière incarnée, les mutations du monde actuel ». Un monde qu’il est encore possible de réenchanter. « Le présent « roman » ne prétend à aucune vérité. Il s’en tient aux faits, sans chercher à les interpréter. Ce n’est qu’à ce prix que l’on peut aujourd’hui dire le réel ; en appréhender la complexité, l’étrangeté la poésie ?, loin des mystificateurs qui se targuent de le « couvrir » pour mieux lui faire écran. »
Aux amateurs de camouflage, Le Décodeur révèle quelques astuces, dont celle de l’œuf dur : grâce à une encre spéciale qui traverse la coquille pour se déposer sur la surface du blanc d’œuf, il est possible d’y inscrire un message lisible seulement après épluchage. Un livre à éplucher, donc… ou à gober tout cru.

Lise Beninca

Le Décodeur
Guy Tournaye
Gallimard, 128 pages, 11,90

Détourner la mémoire vive Par Lise Beninca
Le Matricule des Anges n°65 , juillet 2005.
LMDA PDF n°65
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