qui s’interrogerait sur l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, il faut conseiller, en sus de l’essai d’Alexandre del Valle, La Turquie dans l’Europe. Un cheval de Troie islamiste ? (Syrtes 2004) ce roman d’un des plus grands écrivains turcs contemporains. La rencontre du personnage principal avec la Turquie profonde est y édifiante.
Il s’appelle Karim Alakusoglu et se fait appeler Ka, probablement en référence à Kafka. Au retour de son exil politique en Allemagne, il est envoyé au fin fond des neiges de l’Anatolie, à Kars. Journaliste, il enquête sur une élection à haut risque et une vague de suicides de jeunes filles voilées, autant que sur les sentiments de la belle Ipek, ancienne condisciple de faculté, divorcée d’un candidat islamiste à la mairie. On devine que les événements vont se précipiter. Parmi tous ceux qui veulent l’attirer dans les filets de leurs convictions, athées ou fanatiques religieux qui veulent faire du pays un nouvel Iran, il se sent pris au piège ; même si, étrangement, Ipeck paraît sensible à sa passion, en même temps que lui revient l’inspiration poétique. Jusqu’à ce qu’un putsch kémaliste contre le « parti de Dieu » macule la neige de sang, signant la faille entre occidentalisation et sursaut fondamentaliste musulman.
Orhan Pamuk est méticuleux sans ennui. Le portrait d’un monde et d’un voyage intérieur se dresse efficacement devant nous. Et nul doute qu’un tel talent d’investigation l’amène à être redouté par le pouvoir turc, qu’il soit kémaliste ou islamiste. Un pouvoir qui ne se fit pas faute de tracasser l’écrivain pour ses chiffres réalistes du génocide arménien.
Neige d’Orhan Pamuk
Traduit du turc par Jean-françois Pérouse
Gallimard, 482 pages, 22,50 €
Domaine étranger Déchirure turque
octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Déchirure turque
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°67
, octobre 2005.