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Nouvelles Enlève-moi ce cadavre

octobre 2005 | Le Matricule des Anges n°67 | par Ludovic Bablon

> KIDNAPPING D’UN JUNKIE / ÉPISODE 9.

> Résumé de l’épisode précédent :
C’est Margot qui, comme on l’aura déjà oublié, sortit vainqueur de la chasse au trésor, et emporta du même coup l’argent, son chien et son compagnon jusque sur la plage de nulle part. Cette fois-ci, c’est l’histoire de… non, de… enfin, de… à ce moment-là.

Quand le diabolique Docteur Furbus s’éveilla ce jour-là après une longue grasse matinée au fond de sa planque jonchée de débris organiques, dans la pénombre tortueuse du crâne du travail mort, il sentit dans ses muscles que c’était le jour J avec elle, là et lui, et qu’il serait bientôt temps de boucler, d’un coup, tout ce petit monde. Sur le contour arrière de cet ovale bombé bourré d’impatients tentacules juste mûrs, s’entrouvrait en effet une fissure à travers laquelle scintillèrent les yeux rusés du roublard inspecteur retiré en son cabinet et qui observait les alentours à l’aide d’orbites jumelles. Les deux globes tumultueux s’égayèrent aussitôt à la découverte d’un ciel superbe, sur la droite d’un petit bout de mer penchée, sur la gauche d’un chien, en face de deux dunes en bikini qui se balançaient d’un pas rapide sur le crissement régulier du sable ; tout en haut du spectacle s’évasait un dos large en pleine activité qui tendait deux bras préhenseurs remorquant le fourgon en civil du criminel à la peau lisse. Dès lors les opérations commencèrent. Renouant avec la pénombre du crâne légèrement fêlé sur le fond, l’animal déplia ses longs membres élastiques à la recherche des manettes sensori-motrices à nu du pauvre junk, dont il reprit fermement le contrôle. Les doigts s’animèrent, mêlant le hachis brun au mouliné vert dans l’enveloppe de papier, portant le tout jusqu’aux organes de palpitation du céphalopode, pour un dernier moment de détente avant le grand voyage.

Quand le pauvre junkie blafard, étourdi, malade et deux fois prisonnier reprit faiblement conscience ce matin-là après un long coma sans rêve il découvrit devant lui une plage de bord de mer qui s’éloignait en marche arrière et par rapides à-coups ; les talons lui râpaient, saisit-il, sa tête lui causait d’impensables douleurs, souffra-t-il, et rien ne s’expliquait ; dans une pénible torsion de cou qui lui ravagea toute la nuque et y laissa suinter un filet de liquide sirupeux, il comprit qu’il était remorqué par une sorte de femme à l’allure vaguement préhistorique : mais, parvint-il difficilement à se demander, qu’étaient ces huit doigts crispés sur ces épaules ? « Je… vous reconnais », dirent deux ou trois résidus corticaux encore bienheureusement intacts dans les recoins de ses cavités, « vous êtes… cette secrétaire, qui… travaille à la banque… où j’ai… été kidnappé… aidez-moi, aidez… moi, je sens… ça… » La langueur l’empêchait de continuer. Il s’aperçut néanmoins que la force d’une incontrôlable habitude avait roulé pour lui une cigarette magique au goût de condamnation à mort, cigarette qui devait le fumer, lui, depuis déjà un petit moment, parce qu’il ne s’était aperçu de rien ; tirant dessus dans la fièvre sous le soleil étourdissant, il devait lutter deux fois plus pour surnager à la surface de l’éveil.

Quand l’ex-secrétaire de banque promue délinquante en cavale remarqua aux changements de tonus de sa charge que son richissime mari revenait à lui après plusieurs heures d’une absence remarquablement prolongée malgré tous les heurts du trajet, elle le posa délicatement au sol, s’agenouilla en face de sa tête flasque qu’elle devait soutenir des deux mains, et avec un regard empli d’amour elle lui adressa le message de compassion suivant. « Trésor, tu me reconnais ? C’est Margot, ta singette. Ça va maintenant, tout est fini, il n’y a plus personne qui te chasse, tu es en sécurité avec moi. Mon chéri, mon compagnon, mon ami, courage ; nous nous en sortons superbement bien ! Tu n’imagines pas combien, depuis ton départ, combien, depuis que tu m’as dit » je sors, je vais faire une petite baignadette ! « , combien j’ai eu peur, combien, pour toi, combien, pour nous, combien tu m’as manqué ; vingt, trente ? Mille ? Tout ! Tellement j’ai eu peur, très peur, parce qu’à côté de chez nous, il n’y avait pas la mer, non, pas la mer. Et je t’ai attendu attendu, il y a eu le premier téléfilm, le deuxième, et les produits glissaient de gauche à droite dans l’appartement, fiers et en bonne santé, à télématin tu n’étais pas rentré, au journal de 13h j’espérais des nouvelles, l’après-midi la télé sans toi c’est triste alors j’ai fait du crochet contre le mur, crochet gauche, crochet droit, crochet gauche, crochet droit, en attendant que ça mène quelque part. Quelle horreur, quand ton chien a rapporté chez nous en guise de cadavre cette affreuse directrice ! Et quelles embûches pour te remettre la main dessus. Mais depuis la tornade décisive, depuis que pour ton bien et pour notre bonheur j’ai posé sur ton crâne un coup de gourdin salvateur, te soustrayant à tes ennemis, à toutes les convoitises, cette plage que tu vois là s’étire, venant même sous le pas comme des raisons d’espérer dans le sillage de se réjouir. Maintenant, oublions ces misères, tiens, tourne un peu la tête : de ce côté, l’avenir ; de ce côté, l’avenir ; ici, nous pouvons nager, ici, nous pouvons marcher. Tout ce que 1789 n’a pu nous apporter, un coup de gourdin au coin de bois quadrilatère dans un soir de démence l’a conquis ; pardon, trésor, si j’ai tapé un peu fort : tu guériras. Je ne sais pas ce qui m’a pris. Jamais je n’avais tourné du gourdin de cette manière ; la passion, le manque, l’instinct ? J’aime l’air, la mer, le sable, j’aime marcher, tirer et pousser, j’aime être la seule à triompher, vaincre et l’emporter, mais ce que je préfère, par-dessus tout, c’est toi, Monnaie. »

Le junkie médusé avait presque tout écouté dans un demi-sommeil pénible, portant sans cesse à sa bouche pâle d’un geste trop mécanique pour être honnête le turbulent bâton de feu dont la consommation lui ravageait la gorge, caverne de détritus glaireux et de chairs loqueteuses ; puis, un relâchement de tout son corps témoigna qu’il avait lâché prise, - la tête inerte bascula en arrière contre le sol de poudre fine, - ses derniers centres nerveux actifs venaient d’être dévorés avec délices par la fringale habituelle qui s’était emparée, à l’approche du départ, comme une soif inextinguible aspire à fond l’air d’une calebasse, du diabolique Docteur Furbus qui s’agitait sous la coupole d’os humain, sur le bord du moment d’être au rendez-vous pile à l’aplomb du moment.
Margot ressentit un trouble à voir frémir, se tendre, faiblir et reposer ainsi tout ce qu’elle avait de plus cher au monde, et même si la résurrection immédiate du cadavre, qui se leva et fit quelques pas hésitants sur la plage, avait quelque chose de rassurant, la présence à ses côtés du cinéaste danois qui les filmait tous deux en contre-plongée une petite caméra portable vissée contre l’œil la figea à nouveau de stupeur.
De dos, debout sur ses muscles mous, le cadavre du junkie pouvait laisser penser qu’il profitait simplement du cadre, reprenait ses esprits, et revenait à lui ; mais quand il se tourna, Margot ressentit un pincement au cœur à voir s’afficher sur le visage du pactole un air soucieux, triste, presque grave, tandis qu’il lui annonçait d’une voix d’outre-tombe :

 Tôt ou tard la vérité doit éclore, aussi je préfère t’arrêter tout de suite, Marguerite ; c’est dommage, mais tu ne pourras jamais rien faire de moi ; tu ne pourras jamais m’échanger, me revendre, m’investir, ou me faire fructifier ; je ne suis pas qui tu crois. C’est impossible, je regrette, c’est impossible, je regrette, parce que je m’appelle… Je m’appelle… Don.

 Quoi ?

 Je m’appelle… Don. Tu ne peux rien faire de moi, je suis gratuit.

 Quoi ? Don ? Comment peux-tu me dire ça ? Qu’importe ton nom, c’est ce que tu représentes pour moi qui compte !

 Margot, tu ne m’as pas compris, reprirent les organes phonateurs défunts du pauvre junkie qu’animaient habilement les huit pattes de poulpe du dernier étage. Je m’appelle Don, et en effet ce n’est pas grave. Le problème, c’est que tu ne t’appelles pas Margot, et ça, tu dois le payer ; c’est pourquoi, je t’arrête.

 Mais comment ça, mais ça je l’ai toujours dit, toujours dit !

 S’il te plaît Margot, rends-toi à l’évidence, sans résister, car c’est inutile. Je sais qui tu es. Il ne s’en est fallu que d’une coquille, mais par sa faute, tu es, tu es… tu es un singe, magot.
La lucidité de l’inspecteur fourbe laissa Margot dépitée et désemparée.
« Je… mais… pourquoi pas, mais… de l’air, de l’air !… » Mais déjà la vérité déchirante tirait effectivement du triste sac de peau une femelle d’hominien à crinière, à poils longs, qui sous le choc glissa le long de ses genoux jusqu’au sol et haleta, pendant un quart d’heure, hurla, par à-coups, quelques minutes, se frappa contre le sable, une heure, gesticula en vain le long de la plage, une heure, et finalement se rassit pour regarder la mer d’un air idiot. « C’est dans la boîte, envoyez le générique ! », conclut Lars.
Le ciel couvert s’assombrit instantanément. Il suffit d’une fissure très petite pour qu’un céphalopode s’extraie tentacule après tentacule, entame sur le sable chaud un rapide galop gris, et plonge dès que possible à pleins lobes dans la victoire de la mer, direction les profondeurs abyssales.

> Dernier épisode : nous fêterons sa victoire en dansant avec lui la danse d’amour du diabolique Docteur Furbus !

Enlève-moi ce cadavre Par Ludovic Bablon
Le Matricule des Anges n°67 , octobre 2005.
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