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Zoom God bless Afrika

janvier 2006 | Le Matricule des Anges n°69 | par Thierry Guichard

Le troisième roman de Waberi inverse les données économiques du monde. L’Afrique, fédérée en États riches, domine l’Europe et l’Amérique rongées par la misère et les guerres ethniques. Jubilatoire et instructif.

Aux États-Unis d’Afrique

Il lui faudra du temps à Maya pour accepter l’amour, pour atteindre à la paix intérieure et s’acheminer enfin vers les « clameurs de joie dans la vallée de la vie » dont il est question à la toute dernière phrase du nouveau roman d’Abdourahman A. Waberi. Maya a été élevée en Erythrée sur la côte Est des États-Unis d’Afrique. « Il est possible que cette histoire familiale, ressassée, convulsive, racontée dans le désordre vous donne du fil à retordre », nous prévient le narrateur qui, comme les troubadours autrefois en appelle au sentiment : « Retrouvez votre âme d’ange et tout rentrera dans l’ordre. »
Maya est artiste peintre et sculpteuse ; à 32 ans, elle possède déjà une solide réputation. La jeune femme pourtant est une Blanche élevée dans ces États-Unis d’Afrique, nation fédérale et moderne, pays leader mondial. Son père, Docteur Papa, l’a ramenée, enfant, d’un de ces pays du tiers-monde qu’on trouve de l’autre côté de la Méditerranée ou de l’Atlantique. Elle vient donc de Normandie où Docteur Papa avait été envoyé en mission humanitaire. De la France, pays rongé par les guerres ethniques, le sida, la misère. Maya va retourner dans sa terre natale, pour trouver sa vraie mère et calmer sa conscience.
On peut laisser Maya à sa quête ou vouloir la suivre, la force du roman n’est pas dans la narration du destin de cette enfant adoptée. C’est bien dans cette inversion qu’opère magistralement Abdourahman A. Waberi sur le monde actuel que réside une bonne part de l’intérêt du livre. C’est drôle d’abord, ça peut devenir dérangeant aussi.
Drôle quand l’auteur joue des symétries les plus radicales : ainsi les États-Unis d’Afrique attirent à eux tous les miséreux du monde parmi lesquels « des prostitués de tout sexe, monégasques et vaticanesques mais pas seulement, s’échouent sur les plages de Djerba et dans la baie bleu cobalt d’Alger. » L’un de ces immigrés inaugure le roman ; on l’appelle Yacouba « parce qu’il a un patronyme à coucher dehors. Il est né dans une insalubre favela des environs de Zurich. »
Waberi se joue des données géopolitiques. Par exemple, pour donner une chance à la paix au Québec où anglophones et francophones s’affrontent, les États africains ont envoyé des « casques bleus nigérians, chypriotes, zimbabwéens, malawites et bangladeshis ». Et on ne dira rien de la Suisse ou de la Belgique mises à feu et à sang par les ethnies qui les peuplent.
Dérangeante, l’inversion l’est car elle nous oblige à chausser les mêmes lunettes que celles qu’on met pour regarder la misère d’Afrique ou d’Asie. Sauf qu’elles s’appliquent à nous faire voir l’Europe et l’Amérique, « l’Euramérique ». Du coup, le roman est sans complaisance à notre égard et l’on ressent, plus intimement, ce qu’on n’avait pas envie de connaître en soi : le racisme, la honte, l’échec.
Et quand Yacouba meurt, solitaire et anonyme sur le macadam d’une mégapole africaine, il n’y a guère que Maya pour s’en émouvoir, comme si l’émotion n’était plus que le cri de la conscience.
C’est un roman puissant, courageux, inventif que ce Aux États-Unis d’Afrique porté par une langue qui ne craint pas les images, le lyrisme et l’ironie.
Fidèle à ses précédents ouvrages, Waberi mêle à la fable une charge politique forte, qui dénonce le rejet de l’autre : « La machine à nettoyer les villes est en marche. Se débarrasser des sous-développés, des miséreux, des mendigots, des réfugiés et des prostituées aux chairs tuméfiées, voilà la nouvelle donne politique ». Ces miséreux sont tous blancs et les prostituées viennent d’Europe avec « leurs prunelles bleu électrique, leurs longues mèches blondes, leur poitrine discrète et leurs fesses plates » qui « font le délice de tout le monde ». De quoi faire réfléchir, si cela est encore possible, les sectateurs de la xénophobie ou des charters affrétés d’office.
Né en 1965 à Djibouti ville, alors sous l’autorité de la France, Abdourahman A. Waberi se passionne pour la question de l’identité nationale. On le comprend : il naît français, se retrouve djiboutien en 1977 quand le référendum donne l’indépendance au pays, vient faire ses études en 1985 en France où il enseigne désormais l’anglais au lycée de Lisieux. Après ses études, il est rentré dans son pays où la situation politique ne l’a pas encouragé à rester, d’autant qu’il avait emmené une Française. Il retourne en Normandie « pour sauver son couple », se marie en 1991, ce qui lui redonne la nationalité française. Depuis 1994, et la publication de son premier livre Le Pays sans ombre, ses rapports avec la République de Djibouti sont complexes, tendus. L’homme, proche de l’opposition, a appelé au boycott de l’élection présidentielle en avril dernier où Ismaël Omar Guelleh le président sortant était l’unique candidat. Ça lui a valu quelques mots doux dans la presse gouvernementale et peu d’échos ici, en France.
À Djibouti et à l’exil, le Normand d’adoption a consacré une trilogie composée de deux recueils de nouvelles, Le Pays sans ombre (1994), Cahier nomade (1996) et d’un roman Balbala (1997) parus au Serpent à plumes. Si l’exil a présidé à l’écriture, on aimerait penser que la littérature est désormais son vrai pays. Un pays qui s’écrit en noir sur blanc.

Aux États-Unis d’Afrique
Abdourahman
A. Waberi
JC Lattès
232 pages, 15

God bless Afrika Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°69 , janvier 2006.
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