Une parole à ciel ouvert se développant à partir de rien, nouant le silence à la parole et le poème à un avoir perdu. C’est ainsi que commence le premier livre de Déborah Heissler, née en 1976, et lauréate 2005 du Prix de la vocation. « Quand il ne reste rien / entre silence et poème, / que subversion d’encre // dans la cendre des arbres, l’allée / entre ciel et fruit, / silence / et floraison du pêcher ». Des poèmes de dessaisissement qui font de l’altération la source d’une voix que rythme le pouls de l’absence, et que colorent les tons et demi-tons d’une évidence aussi austère que la sonorité intérieure de ce qui n’est plus. S’entrelaçant à l’écho de la voix de quelques grands intercesseurs Yves Bonnefoy, Philippe Jaccottet, Gustave Roud…, celle de Déborah Heissler se déploie à partir d’une sorte de resserrement concentrique autour d’un silence ou d’un lieu, d’un jardin ou d’un souvenir, de « quelques figures simples » ou d’un geste. « Dans l’oratoire / en geste des corps / courbés de ténèbres // fragments / d’être au miroir/ axiomatique/ d’épaves et d’herpes ». Ancrés dans le plus humble et le plus vif d’une expérience malheureuse, c’est le mouvement désorienté d’un destin et le principe d’une harmonie perdue que ces poèmes tissent et détissent. Des noces noires sur fond de neige, de la candeur en cendres sur fond d’inaccessible Arcadie et d’amours mortes. « Toi-rien, puis toi exactement / La scène est noire, pour tout signe, Terre, étreinte, // union d’ici découpée en cingle d’horizon, / ganté, comble et bleu ». Par jeu de variations et de répétitions, aveux douloureux et décalages, Déborah Heissler désigne, dessine, balise ce qui passe et sépare. En dressant son poème, le presque rien de sa réalité, c’est un défi au vide et à l’absence qu’elle lance. Des poèmes comme écrits sous les auspices de l’épigraphe, en forme de haïku, que s’était choisie Buson. « Toute nuit désormais / tombera / du prunier blanc ».
Près d’eux, la nuit sous la neige de Déborah Heissler
Cheyne éditeur, 65 pages, 13,50 €
Poésie Décantation
mars 2006 | Le Matricule des Anges n°71
| par
Richard Blin
Un livre
Décantation
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°71
, mars 2006.