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Domaine étranger Traversée des apparences

octobre 2006 | Le Matricule des Anges n°77 | par Anthony Dufraisse

C’est la question de la frontière entre fiction et réalité que pose ce roman de l’Espagnol Juan José Millás. Jusqu’où peuvent-elles se confondre ?.

Autant qu’on en puisse juger, pas une ligne, ou presque, n’a été écrite sur ce roman de Juan Jose Millás, qui date de 1988. Peut-être cela viendra-t-il plus tard, après que le flot éditorial de rentrée se sera asséché. Mais ne nous leurrons pas : chez nous, on n’accorde pas suffisamment d’attention à cet écrivain espagnol, qui plus d’une fois, et de belle manière, s’est vu distingué dans son pays. Obtenir le Prix Nadal, tout de même ce n’est pas rien. C’était en 1990 pour La solitude, c’était cela, un roman que les jeunes éditions Galaade ont traduit l’an dernier en même temps que L’Affaire Nevenka. Fort heureusement donc qu’il se trouve de ces jeunes éditeurs pour publier ce que d’autres, mieux établis, auraient dû faire depuis belle lurette. Mais soyons justes : ce roman qu’on réédite aujourd’hui Le Désordre de ton nom Robert Laffont en avait donné une première traduction en 1994. Dans l’œuvre riche de Millás, c’est probablement là un de ses tout meilleurs romans. Quoiqu’en elle-même l’histoire ne paie pas de mine. En apparence c’est tout au plus « une comédie d’intrigue, un triangle qui peut engendrer des péripéties amusantes et explosives », comme l’explique un personnage secondaire. Il est bien question en effet d’un trio un mari, un amant, et entre les deux évidemment, la femme adultère. Schéma triangulaire qu’on dirait éculé, s’il n’était au service d’une perpétuelle mise en abyme et d’un propos de fond qui met face à face réalité et fiction.
Cette interrogation, que porte une écriture tout en sobriété et une économie romanesque efficace, est une sorte d’idée fixe chez Millás. Immanquablement, d’un livre l’autre il y revient, c’est là une constante de son œuvre. Mais qu’on se le dise, ça n’est pas un manque d’inspiration. Si ça l’était, on pourrait épingler un écrivain qui pathétiquement se répète. Millás, lui, a mis au principe même de son écriture, cette relation trouble de la réalité et de la fiction, comment l’une et l’autre viennent à se chevaucher. C’est donc dans cet espace d’un triangle amoureux, que les vaudevilles et autres comédies de boulevard ont mille fois exploité, que Millás inscrit une réflexion que ne récuseraient ni Kafka ni Borges. Cette réflexion, la voici résumée dans les toutes dernières pages : « (…) la réalité immédiate, la plus familière, celle de tous les jours, offrait de multiples fissures par où on pouvait s’introduire pour observer les choses de l’autre côté ». Le constat pourrait s’arrêter là. Mais Millás va plus loin, montrant que ces lézardes ne brisent de toute façon qu’illusions et faux-fuyants la réalité n’étant jamais, pour lui et son narrateur porte-voix Julio Orgaz, qu’empilements de faux-semblants : « Ces fissures étaient habilement camouflées par les usages, les règles, les habitudes de comportement. Mais elles apparaissent de temps à autre telle une blessure (…), et l’on pouvait pénétrer à l’intérieur du labyrinthe auquel elles donnaient accès, et actionner la vie à partir de là ainsi qu’on tire les fils d’une marionnette ». Pour un homme mentalement instable comme Julio (dans le trio c’est l’amant), éditeur qui se rêve dans la peau d’un écrivain, le moindre trouble psychologique entraîne un désordre narratif. À tel point que la fiction devient, dirait-on, plus réelle que la réalité. Au point que vie rêvée et vie réelle se superposent. De la sorte, on l’aura compris, Millás participe de la riche tradition littéraire espagnole et plus particulièrement, s’il faut remonter haut, de la lignée du maître des maîtres, Cervantès bien sûr. Ce roman ouvre ainsi, au beau milieu de la réalité, un passage vers la fiction. À moins que ce ne soit l’inverse. Car Julio, à la fin des fins, est persuadé d’avoir écrit un roman qui devinez un peu, on vous le donne en mille s’intitule comme par hasard Le Désordre de ton nom… Ce livre, qui met en œuvre les dons si rarement réunis d’une simplicité de l’écriture et d’un questionnement complexe sur la nature du roman, consacre Millás comme l’un des écrivains espagnols les plus troublants.

Anthony Dufraisse

Le Désordre de ton nom
Juan José Millás
Traduit de l’espagnol par Eduardo Jimenez
Galaade éditions, 224 pages, 19

Traversée des apparences Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°77 , octobre 2006.
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