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Égarés, oubliés Charcot, fils de Nemo

novembre 2006 | Le Matricule des Anges n°78 | par Éric Dussert

L’aventurier français explora les glaces, leurs monts et toutes leurs merveilles avant de disparaître à bord du « Pourquoi pas ? ». Jean Giono trouva à ses récits un goût d’absolu.

Le Français au Pôle Sud

Les plus âgés d’entre nous se souviennent peut-être qu’en 1936, année remarquable, un bateau français lancé dans les glaces du Grand Nord disparut corps et âmes. Le traumatisme fut grand. Les illustrés illustrèrent, les chroniqueurs chroniquèrent, mais le mal était fait : Jean-Baptiste Charcot, l’explorateur, avait péri avec sa nef légendaire, le Pourquoi pas ?, au cours d’une tempête, sur les récits d’Alftanes, après une escale au Groenland. Seul le maître timonier Gronidec en réchappa.
Né à Neuilly-sur-Seine, le 16 septembre 1867, Jean-Baptiste Charcot disposait d’une aura peu ordinaire : fils de l’éminent Jean-Martin Charcot (1825-1893), l’aliéniste des Leçons du mardi à la Salpêtrière (1887-1888), qui fit le beau temps de la psychiatrie naissante, c’est pour faire plaisir à son père que Jean-Baptiste, qui souhaitait se colleter à la mer comme en témoignent ses cahiers d’écolier couverts de dessins de bateaux, accepte de faire des études de médecine… mais profite de la première occasion pour déserter la carrière. En 1893, l’année de la mort de son père, il met en œuvre le premier Pourquoi pas ? il y en aura trois. Médecin fils de médecin, Charcot jeune était surtout le fils du capitaine Nemo.
À l’âge de 25 ans, il avait acheté un premier bateau, le Courlis avec l’intention de se lancer un jour dans l’océanographie. Après une campagne sur l’île Jan Mayen (1902), il entreprend la construction du Français, un bateau destiné à l’exploration des zones polaires, qu’il remplacera bientôt par le mythique Pourquoi pas ? dont le nom lui fut dicté par une philosophie de l’existence volontariste, pour ne pas dire risque-tout. Enfant de la bourgeoisie, élevé dans le plus grand confort qu’offrait l’époque, et parmi les huiles, Jean-Baptiste Charcot avait le goût sportif des limites, du risque et une soif d’inconnu que la lecture de Jules Verne et d’Edgar Allan Poe n’avait fait qu’exacerber.
Le journal de son exploration de 1902-1903 porte la trace de cet appel : loin du rébarbatif livre de Loch, ce Français au pôle Sud tout juste réédité, et dont Pierre Escudé a découvert quelle part essentielle il avait dans les Fragments d’un paradis (1948) de Jean Giono, se révèle une œuvre de pure littérature. Ou, plus exactement, une œuvre littéraire née d’un esprit scientifique nourri des meilleurs auteurs. Et l’on constate, une fois encore, que la littérature ne sera jamais une profession, non plus qu’un passe-temps. De même qu’il est conçu pour chercher les confins, les terres inconnues et les dangers nouveaux, Charcot est construit sur les hauts-fonds des Lettres qui le soutiennent bien, indéfectiblement. C’est, peu ou prou, ce que l’on rencontrait déjà chez Élisée Reclus lancé dans son Voyage à la Sierra-Nevada de Sainte-Marthe (Zulma, 1992). Une même impression plus chaude et humide, évidemment d’absolue immersion en matière littéraire. Giono ne s’y est pas trompé qui « pompa » allégrement, ce Français au pôle Sud, au point de regretter plus tard ces emprunts, fruits de l’enthousiasme et de la fascination.
On comprend Giono. Indéniablement, Jean-Baptiste Charcot se révèle extraordinairement habité, et, une fois passés les sortilèges exotiques des iceblocs, des pingouins et des baleinoptères, il reste un homme, son univers qui confine à la robinsonnade collective et cette philosophie qui distingue l’homme plein d’allant, l’écrivain d’exception. Comme un Kerouac des mers toutes proportions gardées, Charcot se montre, à peine lancé dans sa première campagne d’hivernage sous le vent près de l’île Wandel, bien conscient des dangers mais avide de changements :
« Nous réussirons, car il faut que nous réussissions et la phrase de M. Bouquet de la Grye, lorsque j’allais, il y a un an déjà, exposer à lui, l’un des premiers, le plan de l’expédition me revient toujours à l’esprit comme un encouragement et un conseil : « C’est très beau, mon enfant, ce que vous voulez faire là, mais vous aurez bien du mal ! Si vous voulez aboutir, dites-vous tout le temps à vous-même : »Je veux« et autres »Ça marche bien." C’est ce que j’ai fait, c’est ce que je continuerai à faire, mais je ne puis, surtout ce soir, chasser toutes ces pensées, hôtes absorbants de mon cerveau, pas plus que je ne peux m’empêcher de songer, avec plus d’intensité que jamais, aux événements qui ont hâté ou accompagné mon départ, aux amis dévoués laissés en Argentine ou en France, et aux miens. (…) C’est une nouvelle page de ma vie que je tourne lentement et gravement, et je ne puis déchiffrer la suivante, dans le grand calme de cette nuit, dans la pénombre des hautes falaises des Terres Magellaniques. »
Une telle mise en bouche plaide pour une lecture attentive. Elle donne en outre l’envie d’aller chercher dans les autres écrits de Charcot Voyages aux îles Feroë ? (Editions géographiques, maritimes et coloniales, 1934), Le Pourquoi Pas ? dans l’Antarctique (Flammarion, 1910), Autour du pôle Sud (Flammarion, 1912), Christophe Colomb vu par un marin (Flammarion, 1928) ou Dans la Mer du Groenland (Desclée de Brouwer, 1929) si quelque nouveau Mystère de la Mer ne s’y résoudrait pas. Et pourquoi non ?

Le Français au pÔle Sud de Jean-Baptiste Charcot, postface de Pierre Escudé, José Corti, 368 p., 20

Charcot, fils de Nemo Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°78 , novembre 2006.
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