La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français L’amour d’absence

janvier 2007 | Le Matricule des Anges n°79 | par Richard Blin

Comment écrire le père mort, celui par lequel on vit, sinon en accueillant la langue qui le déborde et nous traverse ? Un récit émouvant de Ludovic Degroote.

69 vies de mon père

Voici un livre à aborder avec le ventre, avec les tripes, plutôt qu’avec la tête. Un livre qui pense (à) la vie, la réfléchit à travers la façon dont un mort peut continuer à vivre à l’intérieur de la mémoire et de la langue. Un livre qui cherche la vie au plus intime, entre corps et finitude, traces et souvenirs. Un livre qui nous concerne tous, morts en sursis que nous sommes, futurs morts qui, un jour, hanteront à notre tour les vivants. Car les morts, nous dit Ludovic Degroote, se prolongent en nous. Dans Pensées des morts déjà (Tarabuste, 2002), il essayait de donner forme à cette présence, à la façon dont ils pèsent sur nos vies. Paradoxalement, c’était leur silence, leur absence de parole qui avait fini par soulever la sienne, l’amenant ainsi à porter témoignage de la très singulière intimité l’unissant à ses morts. C’est que disparus mais pas absents « inaccessibles à la fois et là tout le temps » les morts ont besoin de nous, pour durer, pour entendre ce qu’ils ont à nous dire.
Cette fois, le mort est un père « mon père, lumière d’un matin de juin sur une langue/ qui pend » (Pensées des morts) et le vivant est un fils. Un père né en 1920, mort en 1989. Deux dates pour une vie, la vie de quelqu’un qui a eu un père qui est mort à 60 ans, comme son propre père. « Même toi qui alignes tes mots tu ne retardes pas un instant le temps de mourir, le temps de t’écraser dans l’histoire, et de passer définitivement au passé ». Vivre, c’est donc se construire sur et avec ces disparitions. C’est faire avec cet écho déserté et cette part de ténèbres qui hantent l’intériorité. Un peu à la façon de l’écriture procédant de l’absence et de ce qui se trame autour des liens qu’on entretient avec ses origines.
C’est cette manière de réinvestir des traces toujours vivantes, de manifester aussi que nous n’écrivons que dans l’héritage et la tradition, qui, ici, s’incarne sous les traits du père. 69 vies de mon père, c’est autant d’ombres sans corps que d’années qu’il a vécues ; c’est l’hommage 69 fois renouvelé d’un fils s’attachant à évoquer ce qu’il y a de beau et de grand dans la banalité d’une vie marquée par la mort inconsolable d’une fille et la nécessité de reprendre, à 20 ans, à la suite de la mort du père à la guerre, la brasserie paternelle et les affaires de famille. « Je ne voulais pas être chef de famille, avoir plein de responsabilités, les emmerdes, mes frères et mes sœurs sur le dos, brasseur, les oncles, les tantes et tout le tintouin ». Mais lui qui aimait les maths et le grec, lui qui aurait voulu faire une école d’ingénieur et calculer les horaires des trains, il n’a pas eu le choix. « C’est pas un puzzle la vie, une image qui serait conforme et à quoi elle devrait aboutir. C’est un puzzle sans modèle et dont les pièces n’ont pas de forme ».
De ces faits, de tout ce que la mémoire et la langue retravaillent pour esquisser la légende à taille humaine d’un père, Ludovic Degroote montre la prégnance, souligne le côté oppressant. Et ce, jusque dans la dimension spiralée, ressassée de son écriture. Une écriture avançant à tâtons, comme pour se délivrer, se dégager d’une sorte d’engluement. Mais une écriture qui est aussi manifestation d’amour réciproque, par-delà récriminations et déceptions. « J’aimerais tellement que tu deviennes un fils selon mon cœur c’est terrible tu sais de devoir aimer un fils qui ne vous ressemble pas c’est terrible parce qu’il y a quelque chose en soi qui fait que malgré cette distance on l’aime quand même sans comprendre, j’aimerais tellement (…) que tu n’acceptes pas d’être différent, que tu ne te résignes pas à être ce que tu es ». Un livre dont l’impact émotionnel est grand mais souvent tempéré par l’humour. « Mon père, sa moustache. Il a cessé de la toucher le jour de sa mort ; (…) Céder sur ce geste a tué le reste ». Mais un livre qui relève avant tout d’un travail proprement poétique, de la quête de ce qui fonde ce je qui est moi sans être moi.

69 vies
de mon pÈre

Ludovic Degroote
Champ Vallon
160 pages, 14

L’amour d’absence Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°79 , janvier 2007.