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Histoire littéraire En fiction toute !

avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82 | par Éric Dussert

Digne successeur de Philarète Chasles et de Marcel Schwob, Jean-Pierre Naugrette fait reluire avec amour les classiques de la Fiction anglo-saxonne à travers ses essais, ses traductions et ses romans.

Histoires, essais et poèmes

Il est homme d’exégèse : Jean-Pierre Naugrette, enseignant à l’Institut du Monde Anglophone (Sorbonne Nouvelle) est l’auteur d’un Robert Louis Stevenson, l’aventure et son double (Presses de l’ENS), le co-directeur d’un colloque de Cerisy intitulé Stevenson-Doyl : l’aventure de la fiction (Terre de Brume, 2003). Cependant, depuis qu’ont paru ses traductions de Stevenson et Conan Doyle ainsi que des proses personnelles où, dans les brumes de l’Angleterre victorienne, il joue à l’ombre des canons du roman fantastique ou policier, cet amateur éclairé s’est révélé un praticien très habile. Remarqués, Le Crime étrange de M. Hyde (Actes Sud, 1998) et Les Hommes de cire (Climats, 2002, cf. Lmda N°39) annonçaient Les Variations Enigma (Terre de Brume, 2006) son roman le plus récent qui manifeste à nouveau une fascination pour les labyrinthes du décor, les couleurs de l’âme et les chausse-trapes de la fiction. Discussion autour du « Corbeau », de Gordon Pym, en passant par Stevenson et son « Olalla ».

Vous donnez aujourd’hui les œuvres complètes d’Edgar Allan Poe. Qu’est-ce qui, chez lui, vous séduit le plus : le charme trouble de l’artiste maudit ou l’œuvre ?
Incontestablement, l’œuvre. La vie de l’homme ressemble à ce que Baudelaire appelait une « lamentable tragédie », qui ne peut que nous toucher, bien sûr, dans sa fulgurance malheureuse. Mais c’est l’œuvre qui séduit : pour reprendre ce que disait Oscar Wilde, c’est la vie qui imite l’art, et non l’inverse. Depuis le texte de Baudelaire, « Edgar Poe, sa vie et ses œuvres » jusqu’à la critique psychanalytique de Marie Bonaparte, très réductrice, on s’aperçoit que l’œuvre est plus riche que la vie, parce qu’elle est porteuse de plus de potentialités : Edgar Poe a inventé le roman policier, le roman d’aventures moderne, le roman de science-fiction, renouvelé le roman gothique, écrit des essais sur l’art de la composition, des poèmes, etc. Son influence est considérable aujourd’hui encore.

À quoi attribuez-vous l’immense influence de Poe sur les créateurs contemporains, de Mallarmé à René Magritte ?
À son travail sur les symboles, qui peut expliquer son influence sur les Symbolistes français : son célèbre poème « Le Corbeau » en est un bel exemple. En ce sens, Poe n’est pas un réaliste. Mais ce travail, qui passe par une attention constante à la forme, ne relève pas du formalisme, de l’art pour l’art, en ce qu’il engage les forces de l’inconscient, que les surréalistes comme Magritte iront chercher chez lui. Si certains tableaux de Magritte comme Le domaine d’Arnheim lui rendent hommage, c’est parce que Poe, comme Freud, est à l’écoute de l’irruption de l’inconscient dans la vie quotidienne, y compris dans les rêves. Que penser des « trente-deux petites choses blanches, semblables à de l’ivoire », ces dents qui tombent d’une boîte d’ébène, à la fin de « Bérénice » ? Il y a bien une force d’irruption chez Poe, qui touche notamment peintres et poètes, mais aussi des philosophes comme Bachelard, sensible qu’il est à l’« imagination matérielle » chez Poe. Poe n’était pas un réaliste, mais il était proche de la matière : l’eau et les rêves, la psychanalyse du feu, la terre et les rêveries de la volonté, ou bien encore l’air et les songes, dirait Bachelard, comme dans ses contes d’anticipation, ces voyages en ballon qui annoncent Jules Verne et la science-fiction, ou ces aventures labyrinthiques dans les grottes de Gordon Pym, qui fascineront Borges ou le Lovecraft des Montagnes hallucinées.
Quelle part de cette œuvre protéïforme vous importe le plus ?
A première vue, je dirais les nouvelles, bien sûr, ou ces histoires que Baudelaire qualifiait d’ « extraordinaires » terme que Poe n’avait pas utilisé. Il y a les plus connues, comme « Le Scarabée d’Or » ou « La Barrique d’Amontillado », qui eurent un impact sur mes auteurs favoris, comme Stevenson et Doyle. De même, « Une descente dans le Maelström » ou « Manuscrit trouvé dans une bouteille » annoncent largement un Jules Verne qui, on le sait, écrivit une suite à Gordon Pym avec Le Sphinx des glaces, étrange roman où les personnages discutent de Gordon Pym et de ses compagnons comme s’ils existaient ! Poe eut aussi un énorme impact sur Lovecraft et Borges. Gordon Pym est un roman extraordinaire, où le jeune héros passe le plus clair de son temps enfermé dans une cale qui devient vite un tombeau. Borges trouvait que c’était là le chef-d’œuvre de Poe, et Bachelard a écrit dessus de très belles pages, sans doute parce que la puissance poétique des images est poussée à son paroxysme : vaisseau-fantôme dont l’équipage mort est picoré par les mouettes, scènes de cannibalisme et de putréfaction, blancheur laiteuse de la mer… Dans ce roman est omniprésent ce que Poe, dans « La chute de la maison Usher », appelle joliment « ce sinistre fantôme, la peur ! »
Mais il faudrait citer aussi, dans les Nouvelles histoires extraordinaires, une nouvelle moins connue comme « Silence », qui décrit « une contrée lugubre en Libye, sur les bords de la rivière Zaïre » autant dire un pays purement imaginaire, à la force quasi surréaliste : on pense à l’univers de Dali. La poésie est très présente dans les nouvelles, où des poèmes entiers sont inclus, comme dans « La chute de la maison Usher », où apparaît « Le palais hanté ». Certains poèmes de Poe possèdent une qualité hallucinatoire, souvent musicale, comme dans « Les cloches » ou « La cité en la mer », qu’on pourrait rapprocher de La cathédrale engloutie de Debussy. « Lénore » est aussi un superbe poème. Henry James en a repris le motif de la coupe d’or, et la traduction de Mallarmé mérite le détour : « et toi, Guy de Vere, n’as-tu de larmes ? pleure maintenant ou jamais plus ! » Donc, ce qui m’importe le plus, en définitive, c’est la poésie, c’est-à-dire la puissance de création.

Ce que vous nommez le « pouvoir d’ensemencement » a t-il eu sur votre œuvre de fiction personnelle un effet important ?
Il est toujours difficile de dire où vont se loger les influences littéraires, car il y a bien sûr une part de travail inconscient : Stevenson parlait de ses « Petites Créatures » ou « Lutins » s’activant dans le grenier de son cerveau la nuit. Mais je crois pouvoir dire qu’en effet, l’œuvre de Poe a eu ce pouvoir. Dans un roman précédent, Les Hommes de cire, j’avais raconté une scène du point de vue d’un cormoran piquant sur un cadavre flottant sur la Tamise. Dans Les Variations Enigma, il y a une scène où des fiacres et autres équipages naviguent sous la Tamise, pour se retrouver dans un canal de Venise. Ainsi, au-delà du vraisemblable, opère une sorte de fluidité, de flux, d’influence prise au sens propre : les aventures laiteuses de Gordon Pym deviennent ici, dans le cas de Mr Hyde, une plongée dans les eaux sombres, ou lourdes dont parlait Bachelard, reprises par Fellini dans Casanova. La poésie peut se mettre au service d’une création romanesque qui ne devrait rien à l’imitation de la vie, mais chercherait à faire rêver.

Qui des traducteurs majeurs de la littérature anglo-saxonne du siècle dernier retenez-vous en priorité ? Madeleine Paz, Louis Postif, Théo Varlet, d’autres encore ?
On a beaucoup parlé de Baudelaire, dont les traductions de Poe ont fini par faire partie de ses « œuvres », tant il s’identifiait à lui. Les traductions de Baudelaire sont de « belles infidèles » par excellence, certains de ses contresens étant pieusement conservés pour leur beauté poétique. Mallarmé a très bien traduit les poèmes de Poe, mais c’est du Mallarmé ! Après eux, la traduction a évolué. Il faudrait commencer par citer Marcel Schwob, qui traduisit « Will du Moulin » de Stevenson, avec qui il entretint une amicale correspondance. Alfred Jarry a traduit « Olalla », du même Stevenson. Parmi les traducteurs que vous citez, Théo Varlet a beaucoup fait pour faire connaître Stevenson dans les années 1920-1930, prenant le relais de Schwob. J’ai une édition bilingue du Cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde parue chez Payot en 1931, dans sa traduction. L’idée même d’une telle collection, liée à l’apprentissage d’une langue présentée comme « de plus en plus nécessaire dans la vie moderne », était novatrice à l’époque. J’ai moi-même traduit le même roman, dans la collection bilingue du Livre de poche (n° 8704). Les traductions de Varlet ont un certain charme, elles sont souvent élégantes, mais il faut constater, pour certaines nouvelles de Stevenson écrites en dialecte écossais, qu’elles laissaient parfois tomber carrément les passages trop difficiles ! C’est impensable aujourd’hui.

Dévoué à mettre en valeur la littérature d’évasion, comment expliquez-vous le primat de la littérature « cérébrale » ou esthétisante ?
Tout dépend ce qu’on entend par « la littérature d’évasion ». Dans un essai sur le roman d’aventure paru en 1913 à la NRF, Jacques Rivière et avec lui, des écrivains tels qu’André Gide, grands lecteurs de romanciers anglo-saxons comme Conrad appelait de ses vœux un nouveau roman d’aventure permettant de sortir des marigots étouffants d’une littérature française trop complaisante sur ses petits problèmes. Il y avait pour lui, chez les auteurs anglais ou américains, un air du large, un appel d’air salutaire. Gilles Deleuze reconnaît au roman anglo-américain classique pareille vertu de déterritorialisation. Je pense que le débat est toujours actuel. Certains lecteurs souvent des intellectuels, d’ailleurs lisent pour se dépayser, pour s’aventurer, pour voyager. Un philosophe comme Michel Serres a écrit un très beau livre intitulé Jouvences sur Jules Verne. D’autres pour tenter de mieux comprendre le monde, ou leur propre vie. Le paradoxe veut que les intellectuels raffolent de Jules Verne, d’Arsène Lupin ou des romans policiers (Sartre était friand de polars), alors que souvent, ce sont des lecteurs moins cultivés qui affichent une préférence pour la littérature « cérébrale ». Il faut être cultivé pour apprécier L’Ile au trésor à sa juste valeur.
De mon côté, j’essaie de dépasser cette opposition en écrivant des romans qui se réclament certes de la littérature d’évasion, mais qui abondent en références littéraires ou culturelles. Dans Les Variations Enigma, apparaît le personnage d’Oscar Wilde, Lord Henry Wotton, qui par définition est un esthète. L’évasion n’exclut pas l’esthétisme.

De quel roman rêvez-vous aujourd’hui ?
Je rêve d’un roman fluide, léger, aérien, qui procurerait ce que Jacques Rivière appelait « ce délicieux déploiement de l’âme en face de l’avenir tout proche et encore muet ». Il y a aujourd’hui une pesanteur des choses telle que s’en évader devient suspect. Edgar Poe était grand amateur de canulars littéraires, comme « Le Canard au Ballon ». Cette poussée aérienne est gage de liberté. Je travaille en ce moment à un recueil de nouvelles qui part de l’Antiquité romaine pour aller vers un futur de science-fiction : j’aimerais créer un univers souple, malléable, où le temps ne serait pas linéaire, et l’espace sobre et ludique, géométrique et coloré à la fois, un univers rythmé par la musique des sphères. Un peu ce qu’a créé Stanley Kubrick dans 2001 Odyssée de l’espace. Un roman profondément artistique, qui recrée le monde de toutes pièces au lieu de le copier.

Histoires, essais
et poÈmes

Edgar Allan Poe
Édition établie et présentée par Jean-Pierre Naugrette
Avec la collaboration
de M. Edwards, F. Gallix,
F. Jaigu et J. Lawler
Le Livre de poche,
« La Pochotèque »
1858 pages, 26

En fiction toute ! Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°82 , avril 2007.
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