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Zoom Réveil du corps

avril 2007 | Le Matricule des Anges n°82 | par Thierry Guichard

En s’intéressant à la Première Guerre mondiale et aux débuts de la psychanalyse, Virginie Ollagnier réussit un premier roman attachant. N’en déplaise aux bigots.

Toutes ces vies qu’on abandonne

On pense, bien sûr, à La Chambre des officiers, le film de François Dupeyron sur les gueules cassées de 14-18. On pense aussi que tout dans Toutes ces vies qu’on abandonne pouvait conduire à l’échec. Ce premier roman construit une histoire à haute teneur en pathos d’abord : une jeune novice, Claire, s’est engagée, durant la Première Guerre mondiale, à assister un médecin psychiatre dans les soins apportés aux soldats blessés, défigurés, amputés et rendus fous à la vie civile. Claire se dévoue pour ses patients sans se départir d’un caractère joyeux qui sied mal à la condition de religieuse à quoi elle se destine. L’armistice vient d’être signé quand échoue à l’hôpital d’Annecy un soldat qu’on croit mort, qu’elle découvre vivant, qui reste prostré et cadenassé à l’intérieur de lui-même. Ce sera donc à Claire, une élève surdouée pour la psychiatrie naissante, de s’occuper de l’inconnu, de résoudre le mystère d’un silence sans écho. L’homme, sans identité, reste muré, comme si son esprit s’était coupé de tout ce qui l’entoure. On sortirait donc vite les violons, d’autant que tout, de la structure linéaire du roman à la langue employée, nous renvoie à un classicisme romanesque hérité du XIXe siècle. Et pourtant, Virginie Ollagnier a su trouver, à l’instar de son héroïne, une grâce légère pour nous mener sans faillir tout au long de cette histoire. C’est que la romancière possède un art du regard, et qu’elle sait jouer du contraste entre les caractères des différents protagonistes. On entre sur la pointe des pieds, méfiant quelque peu de cette fiction-là dont on redoute le pire, qu’on aurait pu imaginer écrite pour être ensuite adaptée à la télévision. Et puis très vite on tombe sous le charme d’une ambiance, d’une pétillance d’esprit chez Claire ou le professeur Tournier, psychiatre humaniste et père meurtri. Les pages sur la guerre et les blessures infligées aux hommes, la folie à laquelle bon nombre de survivants sont condamnés donnent une profondeur sombre et violente au récit. On ne les lit pas sans un certain effroi bien que Virginie Ollagnier ne joue pas de l’horreur. Son art, au contraire, vise à remettre l’Histoire à hauteur d’homme. Il s’en est fallu de peu que son roman pourtant ne voie pas le jour. Et l’histoire de ce livre est en cela d’un romanesque qui lui va bien.
Virginie Ollagnier est née à Lyon en 1970. Ce qu’elle dit d’abord de son enfance, c’est qu’elle a eu des parents très ouverts et qu’elle a souffert de dyslexie. « Il y avait beaucoup de livres à la maison et pas de télévision. J’étais donc obligée de lire, ce qui ne me plaisait pas à cause de ma dyslexie. » La jeune enfant s’invente alors des épisodes de Serpico ou de Cosmos 99, deux séries en vogue à l’aube des années 80. Une bonne manière de travailler son imaginaire… La dyslexie, qui affecte l’identification des mots écrits, fait passer ceux qui en sont atteints pour des imbéciles : « j’ai donc fait Sciences-Po, comme on passe un test de QI ». Puis la jeune femme se tourne vers la photographie, art pour lequel elle obtient une maîtrise. Elle est d’ailleurs aujourd’hui photographe pour le festival de cinéma de Bron : « Drôle d’endroit pour des rencontres ».
À lire Toutes ces vies qu’on abandonne, où l’ordre religieux semble prendre la suite de l’ordre militaire, on pouvait imaginer que l’auteur avait eu une éducation catholique de poids. Il n’en est rien, nous confesse-t-elle, en avouant dans la foulée un athéisme sans faille. « J’ai voulu écrire là-dessus, justement. Sur le carcan dont le XXe siècle commence à se libérer en 1920, avec notamment la psychanalyse. Je voulais parler du corps instrumentalisé de la femme et de son réveil il y a cent ans. Et évoquer les médecins psychiatres qui ont fait la guerre. C’est aussi pour ça que j’ai choisi un style un peu lourd au début. Nous sommes encore dans le XIXe siècle. Claire est plus légère, elle est, elle, du XXe siècle. »
Virginie Ollagnier enseigne aujourd’hui la communication « par l’écoute et le respect » dans le domaine social. Elle insiste là-dessus, et ce trait se reconnaît dans son livre : l’autre l’intéresse. Son premier texte fut une nouvelle qu’elle ne voulait surtout pas donner à l’édition : « pour ne pas me mettre en danger. » Le roman ensuite s’est écrit après une longue documentation et la relecture des poèmes d’Hugo « pour retrouver l’élan romantique, la musique. » Elle adresse son manuscrit à quelques éditeurs parisiens. Une grande maison lui répond favorablement. Mais, alors que le livre est programmé, ces éditions-là sont rachetées par plus gros qu’elles. Le livre ne se fera pas. « Quand j’ai compris ça, après la joie de voir mon manuscrit accepté dès la première tentative, j’ai été abattue. Je suis allée, réellement, enterrer mon manuscrit dans mon jardin. »
Son compagnon, Olivier Jouvray avec lequel elle a signé la bande dessinée Kia Ora (trois tomes parus chez Vent d’Ouest), déterre en secret le roman et l’adresse à Liana Levi. Banco ! Le livre est accepté à nouveau et on ne peut que souligner le parallèle entre le manuscrit et le personnage du soldat inconnu. L’un comme l’autre semblent avoir été arrachés au silence, à la mort.
Souriante et espiègle, Virginie Ollagnier savoure sa naissance en littérature : « C’est tout neuf pour moi. Je suis encore une touriste. J’observe les codes du milieu, les coutumes, je regarde. » Et déjà, elle annonce qu’un deuxième roman est en cours. Bonne nouvelle.

Toutes ces vies
qu’on abandonne

Virginie Ollagnier
Liana Levi
281 pages, 18

Réveil du corps Par Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°82 , avril 2007.
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